Ce 28 septembre 2020, le monde célèbre la journée internationale de l’accès universel à l’information. Cette année, les conditions imposées par la pandémie de COVID19 révèlent la nécessité de garantir l’accès à l’information.
S’exprimant à cette occasion, Fatou Jagne Senghore, Directrice Régionale de ARTICLE 19 Afrique de l’Ouest, après avoir salué la consécration de la Journée par l’ONU, lance un appel aux Etats de l’Afrique de l’Ouest à promouvoir l’accès effectif à l’information, la transparence et la redevabilité dans les affaires publiques dans le contexte de la crise liée au coronavirus.
» On ne saurait célébrer la journée internationale de l’accès universel à l’information aujourd’hui sans reconnaître les efforts concertés des défenseurs des droits humains à travers l’Afrique et dans d’autres régions du monde qui ont travaillé sans relâche pendant de nombreuses années avec l’UNESCO et les États membres pour la reconnaissance de cette importante journée internationale en 2015. Bien entendu, la célébration d’aujourd’hui est éclipsée par la situation sanitaire sans précédent à laquelle le monde est confronté. En effet, la pandémie de coronavirus a montré combien il est important de disposer d’informations précises pour lutter contre le virus. Bien des progrès ont été accomplis dans notre région et aujourd’hui, j’exhorte les dirigeants de l’Afrique de l’Ouest d’inscrire l’accès à l’information parmi leurs priorités dans la lutte contre le coronavirus, d’adopter et de mettre en œuvre des lois et des politiques qui fassent respecter le droit à l’information ».
» Chaque voix doit compter, et chaque mesure et action doit être accessible à la société civile et aux citoyens afin de favoriser la transparence et la redevabilité publique. Il est nécessaire que les citoyens sachent comment le gouvernement gère leur santé et par conséquent, leur vie économique et leurs libertés. L’information leur permet de participer à la prise de décision et à la mise en œuvre des mesures. La diffusion des informations publiques renforcera la confiance nécessaire à l’effort commun pour sauver des vies et donner de l’espoir face à la pandémie de coronavirus».
Il est essentiel d’avoir accès à l’information pour assurer la gouvernance démocratique, la transparence et la redevabilité, et pour lutter contre la corruption et l’impunité. Les citoyens peuvent ainsi participer, exercer pleinement et protéger tous leurs droits, contribuer à la consolidation d’un environnement riche et démocratique et assurer des services publics efficaces. La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples garantit le droit d’accès à l’information en vertu de l’article 9, repris dans la Loi Modèle sur l’accès à l’information pour l’Afrique (2013), les Lignes Directrices sur l’accès à l’information et les élections en Afrique (2017) et la Déclaration de Principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique révisée (2019).
“Dans la région de l’Afrique de l’Ouest, des mesures législatives ont été prises par les États pour ouvrir l’espace civique et faire de l’accès à l’information un droit fondamental. Toutefois, certains sont à la traîne et n’ont toujours pas de lois sur l’accès à l’information.”
Depuis quelques années, des avancées notoires ont été réalisées en Afrique dans le domaine de l’accès à l’information. Au lendemain de l’adoption par le Libéria d’une loi sur l’accès à l’information en 2010, une dizaine d’États d’Afrique de l’Ouest, dont le Bénin, le Ghana, la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigéria, la Sierra Léone, le Togo, ont adopté une loi sur l’accès à l’information, démontrant ainsi la volonté d’évoluer vers des systèmes plus ouverts et plus transparents et faisant de la région celle ayant le plus grand nombre de pays disposant de lois sur l’accès à l’information. Cette avancée témoigne de l’importance de la loi Modèle sur l’accès à l’information pour l’Afrique élaborée par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Néanmoins, malgré l’existence de ces lois, leur mise en œuvre constitue toujours un défi car beaucoup de ces gouvernements sont peu enclins à les mettre en pratique.
La Déclaration de Principes sur la liberté d’expression en Afrique souligne à ce titre qu’une partie intégrante du droit à la liberté d’expression, l’accès à l’information, consiste à garantir que les citoyens disposent des informations dont ils ont besoin pour participer efficacement aux développements politiques et aux processus décisionnels qui conditionnent leur avenir. En favorisant le libre échange, l’accès à l’information renforce la transparence, la redevabilité et la lutte contre la corruption dans la vie publique et permet aux citoyens de protéger et de jouir plus facilement de leurs autres droits fondamentaux. Pour le public et la société civile, le droit d’accès à l’information est essentiel. Il est indispensable à une société équilibrée et à une bonne gouvernance. Le principe de la liberté d’informer fournit un cadre dans lequel les citoyens participent à la gestion des affaires publiques par le biais d’un contrôle citoyen. La liberté d’accès à l’information permet à la société civile de développer plus pleinement son rôle de “chien de garde”.
S’exprimant lors du Sommet Virtuel des leaders du PGO 2020, Muhammadu Buhari, le président du Nigéria a reconnu l’importance de l’accès à l’information et de la participation des citoyens dans la lutte contre la pandémie de COVID-19 et la corruption :
”Par ces temps, les citoyens recherchent davantage d’informations, d’engagement et de soutien de la part de leur gouvernement […] ce n’est qu’avec un gouvernement ouvert et en travaillant avec les citoyens que nous pouvons réussir […] à lutter contre la corruption et à encourager la bonne gouvernance ».
Olanrewaju Suraju, président du Centre de ressources HEDA, une organisation de lutte contre la corruption et de développement basée à Lagos, au Nigéria, a souligné :
» Afin de renforcer la participation des citoyens et l’exercice des droits socio-économiques et politiques par le contrôle citoyen, le droit d’accès à l’information est un outil important dans la lutte contre la corruption et une pierre angulaire du développement. Par leur accès à l’information, les citoyens sont bien informés et donc capables de contribuer à la gouvernance, qui est un facteur fondamental dans le développement de toute démocratie ».
« La promulgation de la loi sur l’accès à l’information en 2011 [au Nigéria] est un grand pas en avant pour la démocratie et la transparence dans un pays émaillé par des scandales de corruption. Aujourd’hui, les citoyens, les organisations de la société civile et les acteurs des médias peuvent demander, recevoir et accéder aux informations publiques. Même s’il reste des défis à relever dans la mise en œuvre de ce droit, c’est l’occasion d’appeler tous les pays restants de l’espace CEDEAO et du continent à adopter une législation sur l’accès à l’information. C’est un droit pour leurs citoyens et une obligation pour les gouvernements », a-t-il ajouté.
De nombreux pays de la région se sont ralliés à des efforts multipartites tels que l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) et le Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO). Ils sont nombreux à avoir aussi adhéré à des traités régionaux. C’est l’exemple de l’adhésion à la Charte sur la Démocratie, les Élections et la Gouvernance, qui promeut la participation citoyenne, la transparence, l’accès à l’information, la liberté de la presse et la redevabilité dans la gestion des affaires publiques. La Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption oblige les États à adopter les mesures législatives et autres actions nécessaires pour donner effet au droit d’accès à toute information requise pour contribuer à la lutte contre la corruption et les infractions connexes.
Dans notre région, malheureusement le Sénégal, la Gambie et la Guinée-Bissau tardent à adopter des lois pour garantir l’accès à l’information. Le Sénégal, avec sa position stratégique, géographiquement et politiquement, dispose en effet de nombreuses lois sectorielles qui favorisent l’accès à l’information et a adhéré à différents mécanismes de transparence, mais hésite à légiférer sur le libre accès à l’information. Le gouvernement devrait rejoindre les autres pays dès que possible pour renforcer le programme de gouvernement ouvert qu’il a intégré.
Après avoir pris quelques mesures en faveur du libre accès à l’information notamment signature de la Déclaration internationale sur l’information et la démocratie, dont le droit à l’information est le premier principe, le Sénégal a adhéré à l’ITIE et au programme de gouvernement ouvert, qui élabore actuellement son premier plan d’action pour promouvoir la transparence, la redevabilité et la participation des citoyens à la lutte contre la corruption. Une coalition d’organisations de la société civile portée par ARTICLE 19 et le Forum Civil font le plaidoyer pour l’adoption d’une loi d’accès à l’information depuis plus de dix ans et attendent toujours que les engagements du gouvernement à adopter cette loi deviennent une réalité.
« Je voudrais aujourd’hui appeler le gouvernement sénégalais à achever le processus et à adopter une loi d’accès à l’information conformément à ses obligations en vertu de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples. Une telle loi renforcera le programme de gouvernement ouvert, auquel il a adhéré il y a trois ans”, a déclaré Fatou Jagne Senghore.
En Gambie, les organisations de la société civile ont lancé le processus pour l’adoption d’une loi d’accès à l’information en 2016. Après une série d’examens, l’Assemblée nationale a adopté avec succès le rapport final soumis par sa commission spéciale le 25 juin 2020. Afin de renforcer la transition démocratique à un an des élections générales, l’Assemblée nationale devrait accélérer la promulgation du projet de loi pour doter les citoyens d’un pouvoir de contrôle.
« Après 22 ans de dictature et de régime autoritaire, les Gambiens ont accueilli ce changement comme une opportunité de participer activement à la vie publique et de mettre fin aux violations des droits de l’homme, à la corruption et à l’impunité. En l’absence d’un cadre juridique sur l’accès à l’information publique, l’ancrage de la culture du secret et l’absence de redevabilité dans la vie publique ne changeront pas », a déclaré Fatou Jagne Senghore.
Nécessité d’abroger toutes les politiques et lois qui nuisent à l’effectivité de l’accès à l’information
Bien que essentielle à la construction d’un espace civique plus ouvert et à un engagement politique important en faveur de la transparence et de la redevabilité, l’adoption d’une loi d’accès à l’information ne doit pas être considérée comme un aboutissement. Au-delà de l’adoption de la loi, c’est sa mise en œuvre dans la pratique qui confère en effet la jouissance réelle du droit garanti par la loi. Dans la région malheureusement, les lois sur l’accès à l’information sont souvent compromises par entre autres, la faiblesse des mécanismes d’accès et d’application, des systèmes d’archives, la culture du secret et les capacités et ressources limitées des médias et des militants pour mener une enquête lorsque l’information n’est pas fournie de manière proactive.
» Bien souvent, les gouvernements ne sont pas bien équipés pour répondre rapidement et efficacement aux demandes d’informations. En outre, elles ne sont pas fournies et diffusées de manière proactive, parfois par manque de ressources. En conséquence, les citoyens ordinaires ne sont pas souvent informés de la loi ou de leur droit à l’information. C’est un véritable défi pour les gouvernements. »
Il semble que dans de nombreux pays, les gouvernements aient adopté des lois sur l’accès à l’information parce que la société civile les a exhortés à respecter leurs obligations internationales, plutôt que parce qu’ils veulent instaurer une redevabilité interne. Plus grave encore, certains gouvernements ont mis en place des législations parallèles pour entraver le plein exercice de la liberté d’information. Cela a fait obstacle à la jouissance du droit d’accès à l’information.
ARTICLE 19 n’a cessé de dénoncer les législations adoptées pour faire taire les voix des militants et des journalistes lorsqu’ils critiquent la gestion publique. Par exemple, au Niger où la loi sur la cybercriminalité a été utilisée pour restreindre la liberté de la presse ou au Nigéria où la loi sur la cybercriminalité a été utilisée pendant la crise COVID-19 pour limiter les droits numériques, y compris l’accès à l’information. Il en est de même, en Côte d’Ivoire où les dispositions relatives à la désinformation sont utilisées contre les journalistes et les militants politiques qui rapportent ou critiquent les reportages publics sur le coronavirus. La Guinée a récemment adopté une loi habilitant les institutions politiques à contrôler l’autorité de régulation des médias, ce qui augmente le risque d’impact sur l’indépendance des médias. L’autorité de régulation a déjà menacé de fermer les médias en ligne s’ils ne s’enregistraient pas. L’ingérence des institutions politiques dans la gouvernance de la régulation des médias et la fermeture des médias en ligne ne sont pas conformes aux normes internationales et constituent des menaces pour l’accès à l’information.
« Il est essentiel que toutes les dispositions juridiques et politiques controversées qui tendent à restreindre la liberté d’expression et l’accès à l’information soient abrogées ou revues conformément aux normes internationales. Avec un contrôle citoyen efficace, nous pouvons renforcer la démocratie et le développement socio-économique en Afrique », a déclaré Fatou Jagne Senghore.
Intensification des restrictions de l’accès à l’information et de la répression dans le contexte de la pandémie de COVID-19
La pandémie sans précédent liée au coronavirus n’a épargné aucun secteur. Elle a mis en lumière la nécessité de disposer des informations fiables sur les mesures prises par les gouvernements et les plans de relance de la crise. Dans le même temps, la crise a montré qu’un manque de transparence peut entraîner des violations de la liberté d’expression et du droit à l’information.
ARTICLE 19 s’est fermement opposé à l’utilisation de la crise COVID-19 comme prétexte pour limiter la transparence, réduire la protection des médias ou faire taire les voix discordantes dans les différents pays de la région. Depuis le début de la crise, ARTICLE 19 a documenté :
- Les attaques contre les médias qui ont diffusé des informations sur le coronavirus au Sénégal et les arrestations de militants pour avoir exercé leur droit de contrôle citoyen sur la fourniture de services publics.
- Attaques contre des journalistes nigérians qui ont fait des reportages sur la crise et arrestations de militants prétendant à une amélioration de la gouvernance, et utilisation de la loi sur la cybercriminalité pour restreindre les droits et les libertés.
- Attaques au Ghana contre des journalistes couvrant la crise et l’actualité politique.
- Arrestations de journalistes et de militants en Côte d’Ivoire pour avoir signalé des cas de coronavirus dans un centre médical.
- Utilisation du coronavirus pour justifier le rétrécissement de l’espace civique en interdisant les manifestations, en restreignant l’accès à Internet et en pratiquant d’autres répressions illégales pour faire taire les voixdiscordantes contre l’engagement politique de dirigeants antidémocratiques, comme en Guinée et en Côte d’Ivoire.
Le principe 35 de la Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique stipule que « nul ne sera soumis […] à une sanction ou à un préjudice quelconque, pour avoir divulgué des informations […] dont la divulgation est dans l’intérêt public, en ayant la conviction sincère que ces informations sont substantiellement exactes ».
Déplorant la répression, Tidiane SY, journaliste et fondateur d’une école de journalisme et de médias numériques en Afrique de l’Ouest, a rappelé que
Il est indispensable que les lois sur l’accès à l’information existent et soient appliquées de manière efficace pour que le journalisme indépendant et de qualité engage les citoyens dans la vie publique. La transparence et l’accès à des informations fiables devraient faire l’objet d’une plus grande attention de la part des autorités afin de répondre aux préoccupations et aux attentes des citoyens. Nous avons observé la tendance des gouvernements à réprimer plutôt qu’à informer la population en réponse à la crise sanitaire en Afrique. Les États doivent inverser la tendance et diffuser des informations adéquates pour engager les citoyens dans la lutte contre cette pandémie et renforcer la transparence.
Fatou Jagne Senghore a conclu : « Fournir des informations en temps utile aux citoyens n’est pas un signe de faiblesse, mais de force et d’engagement en faveur de la redevabilité dans la gouvernance. Cela pourrait même contribuer à réduire les tensions sociales et la violence dans la sous-région. Compte tenu des mesures prises, je pense que les peuples et les gouvernements de notre région ont certainement la capacité de surmonter les différents défis qui sapent actuellement l’efficacité de l’accès à l’information, la transparence et la redevabilité. J’espère que la célébration de cette année marque une réelle amélioration de l’accès à l’information dans notre région et sur le continent. Cela nous donnera de bien meilleures chances de gagner la lutte contre le coronavirus ».
Pour plus d’informations, veuillez contacter :
Eliane NYOBE, Assistante de programme senior, ARTICLE 19 Afrique de l’Ouest : [email protected]
Tél : +221 77 553 13 87 ou +221 33 869 03 22
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