En quoi consiste la Résolution 16/18?
La Résolution 16/18 du Conseil des droits de l’homme (CDH) porte sur la « lutte contre l’intolérance, les stéréotypes négatifs, la stigmatisation, la discrimination, l’incitation à la violence et la violence visant certaines personnes en raison de leur religion ou de leur conviction ». Adoptée par consensus en mars 2011, cette résolution est généralement considérée comme une décision capitale de la première décennie du CDH.
La Résolution 16/18 engage tous les États à lutter contre l’intolérance religieuse en promouvant les droits à la liberté d’expression, à la liberté de religion ou de conviction et à la non-discrimination, lesquels sont des droits interdépendants qui se renforcent mutuellement.
Pour ce faire, la résolution fixe un plan d’action pour les États :
(a) Créer des réseaux collaboratifs pour favoriser la compréhension mutuelle, promouvoir le dialogue et susciter une action constructive dans des domaines différents ;
(b) Créer, au sein des gouvernements, un dispositif permettant d’identifier et de dissiper les zones de tension potentielles entre membres de différentes communautés religieuses, et de contribuer à la prévention des conflits et à la médiation ;
(c) Former des agents de l’État à des stratégies de communication efficaces ;
(d) Encourager les efforts fournis par les responsables pour débattre avec les membres de leur communauté des causes de la discrimination et des stratégies évolutives propres à y remédier ;
(e) Se prononcer ouvertement contre l’intolérance, y compris contre l’appel à la haine religieuse, qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence ;
(f) Adopter des mesures pour criminaliser l’incitation à la violence imminente fondée sur la religion ou la conviction ;
(g) Combattre le dénigrement de la religion et les stéréotypes religieux négatifs, ainsi que l’incitation à la haine religieuse par des mesures d’éducation et de sensibilisation ;
(h) Reconnaître qu’un débat d’idées ouvert, constructif et respectueux, joue un rôle positif dans la lutte contre la haine religieuse, l’incitation à la haine et la violence.
Depuis 2011, le CDH a adopté chaque année par consensus des résolutions de suivi de la Résolution 16/18 (plus récemment la Rés. 28/29). Cela comprend des références positives au Plan d’action de Rabat lancé par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), qui fournit des directives juridiques et pratiques pour la mise en œuvre de l’Article 20(2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PDICP), interdisant « tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence ».
Rôle essentiel du contre-discours
La Résolution 16/18 repose sur la conviction que le meilleur antidote à l’intolérance est, par défaut, plus d’expression, conjuguée à des politiques et des législations qui s’attaquent aux racines de la discrimination. C’est également le point fondamental du Plan d’action de Rabat.
Des mesures positives et non coercitives jouent un rôle capital dans la création d’un climat de dialogue, y compris sur des questions sensibles, comme indiqué dans sept des huit « options d’action » de la résolution. Des restrictions à la liberté d’expression sont prévues, mais uniquement en guise de mesure exceptionnelle dans des circonstances très étroitement définies. Lorsque des moyens moins restrictifs de combattre l’intolérance sont disponibles, ils doivent être entièrement employés en premier lieu. Cela va à l’encontre de la tendance de certains États à résoudre les tensions religieuses réelles ou perçues en restreignant l’espace civique.
De multiples parties prenantes ont un rôle important à jouer pour « changer les cœurs et les esprits » et promouvoir la compréhension mutuelle au sein de ces groupes et entre eux. À cet égard, le Plan d’action de Rabat identifie les institutions nationales des droits de l’homme, les organisations de la société civile, les médias indépendants et un Internet libre et ouvert, en se référant en particulier aux Principes de Camden sur la liberté d’expression et l’égalité.
La question de la « diffamation des religions »
La Résolution 16/18 a concilié des approches de plus en plus polarisées sur les meilleurs moyens de s’attaquer à l’intolérance et la discrimination fondées sur la religion ou la conviction, et elle a remplacé les appels conflictuels adressés au CDH (et la Commission avant cela) pour obliger les États à combattre « la diffamation des religions », un concept analogue au « blasphème ».
La législation internationale protège les droits attachés aux personnes : le droit des individus à avoir des opinions et à exprimer des idées de toutes sortes, et le droit d’avoir, d’adopter et de manifester une religion ou une conviction. Elle n’autorise pas les États à restreindre la liberté d’expression dans le but de protéger les religions, les convictions ou les idées elles-mêmes. Si la législation internationale appelle les États à interdire la discrimination à l’encontre de personnes fondée sur la religion ou la conviction, elle ne leur confère pas le droit de protéger leur religion, convictions, opinions ou idées d’un examen, d’un débat, de l’insulte voire même de la dérision. Elle n’empêche pas les individus de se prononcer contre des expressions qu’ils jugent offensantes, car cela relève aussi de la protection de leur droit.
Les normes internationales nécessitent clairement l’abrogation des lois contre le blasphème. Le Rapporteur spécial des Nations Unies pour la liberté de religion et de conviction l’a rappelé à maintes reprises, citant à la fois le Plan d’action de Rabat et l’Observation générale n° 34 du Comité des droits de l’homme, à l’instar des rapporteurs spéciaux des Nations Unies et régionaux pour la liberté d’expression. Ils observent que ces législations sont appliquées de façon discriminatoire contre des minorités religieuses ou des dissidents et qu’elles limitent un débat ouvert, et sont par conséquent contre-productives pour la promotion d’une compréhension mutuelle. Au contraire, les lois contre le blasphème nourrissent la discrimination, l’incitation à la violence et à des actes de violence par des États et des acteurs non étatiques.
Le CDH doit impérativement mettre en garde contre le retour du concept de « diffamation des religions » sous toutes ses formes, qui va à l’encontre des normes internationales établies et pourrait rouvrir la fracture idéologique comblée par la Résolution 16/18. Cette fracture pourrait largement saper la crédibilité de l’institution en tant que plateforme d’action contre les violations des droits humains.
Restreindre la Liberté d’expression : une mesure exceptionnelle en dernier ressort
Le paragraphe 5(f) de la Résolution 16/18 représente un consensus en faveur des États qui criminalisent l’incitation à la violence imminente fondée sur la religion ou la conviction, et fait écho aux obligations plus larges découlant de l’Article 20(2) du PIDCP interdisant « tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence ». Toutefois, la portée de ces engagements et obligations (respectivement) reste une question controversée au CDH.
Le Plan d’action de Rabat affirme clairement que les restrictions découlant de l’Article 20(2) du PIDCP doivent également satisfaire au test en trois parties énoncé à l’Article 19(3) du PIDCP, c’est-à-dire être (a) précises sur le plan juridique, (b) poursuivre un but légitime, et (c) être nécessaires et proportionnées par rapport à cet objectif. Il propose un « test de seuil » élevé avec six facteurs pour aider les procureurs et les autorités judiciaires à identifier quand des interdictions peuvent être justifiées, y compris : (i) le contexte social et politique, (ii) l’auteur, par exemple son statut et son influence, (iii) l’intention de l’auteur, (iv) le contenu ou la forme de l’expression, (v) l’étendue du discours, et (vi) la probabilité et l’imminence d’un préjudice réel.
En insistant sur ce seuil élevé, le Plan d’action de Rabat identifie et protège contre deux types de violations des droits humains qui découlent de l’application des lois sur l’incitation :
- L’impunité de l’appel réel à la haine discriminatoire qui constitue une incitation à un résultat proscrit (un problème particulier aux minorités) ;
- L’application trop large des dispositions relatives à « l’incitation », souvent trop vagues, contre les groupes qu’elles sont censées protéger, notamment les minorités religieuses ou les dissidents, y compris les athées, les agnostiques et les convertis.
En mettant en œuvre la Résolution 16/18, les États doivent s’engager à rendre des comptes sur ces violations des droits humains.
La mise en œuvre est un facteur clé : processus d’Istanbul
Le Processus d’Istanbul désigne une série de rencontres intergouvernementales initiées en 2011 en vue de promouvoir et guider la mise en œuvre de la Résolution 16/18. Ce processus peut potentiellement devenir un forum transrégional inclusif et participatif pour l’échange des meilleures pratiques en matière de lutte contre l’intolérance fondée sur la religion ou la conviction.
Pour réaliser ce potentiel, des États très divers doivent participer au processus d’Istanbul, en particulier les États hôtes. Les représentants doivent provenir des ministères et des agences gouvernementales nationales, dont le mandat comprend les efforts en vue de combattre la discrimination : ces individus doivent posséder une expérience pratique qui donnerait plus de valeur aux échanges. Ce processus serait renforcé par une approche multipartite, cherchant des échanges de points de vue et d’approches importants avec la société civile, les institutions nationales des droits humains, les médias et d’autres parties prenantes. Un programme pratique axé sur les praticiens pourrait catalyser les efforts de mise en œuvre, y compris en encourageant l’innovation et des collaborations transfrontalières.
Des rapports de suivi de la Résolution 16/18 par le biais du HCDH seraient également relancés grâce à une participation plus large des acteurs étatiques et d’autres parties prenantes.
Recommandations
Pour que les États consolident le consensus sur la Résolution 16/18 par le biais de sa mise en œuvre, il faut :
- Adopter des plans de mise en œuvre nationaux qui reflètent les objectifs et les normes de la Résolution 16/18 et du Plan d’action de Rabat dans leur ensemble, avec une participation pleine et effective de toutes les parties prenantes ;
- Stimuler et participer au Processus d’Istanbul pour le transformer en forum transrégional, participatif et régulier, axé sur les échanges multipartites de « meilleures pratiques » au niveau des praticiens, incluant des agents nationaux et locaux importants du gouvernement, des organisations indépendantes de la société civile, des institutions nationales des droits humains et d’autres participants intéressés ;
- Contribuer aux rapports du HCDH sur la mise en œuvre de la Résolution 16/18, en mettant l’accent sur les leçons pratiques apprises au niveau national, et chercher des contributions plus larges des parties prenantes à ce processus, y compris en provenance de la société civile ;
- S’impliquer activement dans les examens périodiques universels et d’autres mécanismes du CDH, en particulier les rapporteurs spéciaux sur la liberté de religion ou de conviction et sur la liberté d’expression, pour poursuivre la mise en œuvre de la Résolution 16/18 et du Plan d’action de Rabat ;
- S’assurer que les droits à la liberté de religion ou de conviction, à la liberté d’opinion et d’expression, et à la non-discrimination, sont totalement garantis dans la législation et la pratique, conformément aux normes internationales ;
- Reconnaître l’importance de l’espace civique pour optimiser un débat et un dialogue solides, y compris par le biais d’un Internet libre et ouvert, afin de s’attaquer efficacement aux causes profondes de l’intolérance et de la discrimination ;
- S’assurer que les interdictions de « l’incitation », la mise en œuvre du paragraphe 5(f) de la Ré