Le gouvernement tunisien continue de porter atteinte à la liberté de la presse, en intensifiant sa politique de harcèlement des journalistes et en étouffant la liberté d’expression.
Le mercredi 12 avril 2023, et pour la troisième fois consécutive en l’espace d’un mois, les autorités ouvriront une enquête sur le travail des journalistes Monia Arfaoui et Mohamed Boughlab. Une enquête consécutive à une plainte déposée contre eux par le ministère des Affaires religieuses sur la base des dispositions du code pénal et du décret-loi n° 2022-54 du 13 septembre 2022, relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication. Monia Arfaoui, journaliste au journal Al-Sabah, a été interrogée par le juge d’instruction les 24 et 31 mars 2023, suite à deux plaintes déposées contre elle par le ministère. De même, Mohamed Boughlab, chroniqueur à la radio Cap FM, a comparu le vendredi 7 avril 2023 dans le cadre d’une intervention qui a révélé que le ministère des Affaires religieuses utilisait une voiture faisant l’objet d’une procédure judiciaire, ce qui a déclenché une polémique publique qui s’est rapidement transformée en affaire d’opinion.
Boughlab est poursuivi en vertu d’une plainte déposée par les services juridiques du ministère des affaires religieuses, qui l’accusent d’avoir attribué des faits illégaux à un fonctionnaire public, de diffamation et de diffusion de fausses nouvelles en vertu de l’article 128 du code pénal et de l’article 24 du décret n° 54 de 2022. Les poursuites engagées contre Boughlab sont les troisièmes poursuites engagées contre des journalistes et des chroniqueurs sur la base du décret n° 54, ce dernier pose problèmes et est entaché d’irrégularités. En novembre 2022, le directeur du site Business, Nizar Bahloul, a été poursuivi après que la ministre de la Justice, Laila Jaffar, a déposé une plainte contre lui pour un article critiquant la politique du gouvernement de la Première ministre Najla Bouden, dans lequel il présentait les résultats du travail du gouvernement sur 13 mois,
Dans la continuité des poursuites précédentes, Monia Arfaoui a été poursuivie en mars 2023 par le ministère des Affaires religieuses sur la base du même décret, et en raison d’un post critiquant la suspension d’un partenariat programmé entre le ministère des Affaires religieuses et le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme.
Les organisations et associations soussignées condamnent l’atteinte portée par le gouvernement tunisien à la liberté de la presse et l’utilisation de textes juridiques répressifs pour pénaliser la critique des politiques publiques de l’Etat.
Elles expriment également leur soutien inconditionnel à Mohamed Boughlab, Monia Arfaoui et à tous les journalistes et producteurs de contenus journalistiques poursuivis par les instances gouvernementales pour avoir critiqué les politiques publiques et révélé des dossiers d’intérêt public.
Les organisations signataires condamnent également la poursuite de l’utilisation par les autorités judiciaires du décret-loi n° 54 de 2022, qui viole des règles juridiques fondamentales, notamment la proportionnalité de l’infraction à la peine, et le principe d’égalité devant la loi. De plus, ce décret confère aux fonctionnaires une double immunité contre les critiques constructives.
En outre, les organisations de la société civile mettent en garde contre les graves dangers que représente le décret-loi n°54 de 2022 sur les droits et libertés numériques, qui prévoit des restrictions susceptibles d’intimider les journalistes et de les dissuader d’exprimer leurs opinions, en particulier sur les fonctionnaires publiques et les politiques de l’État.
Les signataires exhortent le pouvoir judiciaire à rejeter ces lois, qui menacent les principes démocratiques et les droits de l’Homme et portent atteinte à la liberté d’expression et au travail journalistique. Ils les invitent à se distancer de l’attaque systématique de l’exécutif contre les droits et libertés et à jouer leur rôle dans leur protection.
Les signataires appellent également la société civile et les militants politiques à lancer une campagne nationale pour suspendre l’application du décret 54 de 2022 afin de lutter contre les crimes liés aux systèmes d’information et de communication et d’utiliser les mécanismes judiciaires nationaux et internationaux pour contester ces crimes. Ils les appellent à participer à la veillée de solidarité qui sera organisée à partir de 9h le mercredi 12 avril devant le commissariat du Gorjani en solidarité avec Monia Arfaoui et Mohamed Boughlab.
Organisations signataires :
ARTICLE 19
Association Alkarama pour les droits et libertés
Association Hassan El Saadawi pour la démocratie et l’égalité
Association Intersection pour les droits et libertés
Association Nachaz Dissonances
Association Onshor
Association pour l’activation du droit à la différence
Association pour la justice et la réhabilitation
Association tunisienne des femmes démocrates
Association Tunisienne pour la Défense des Libertés Individuelles
Association Tunisienne pour la Gouvernance et la Responsabilité Sociale
Association Vigilance pour la Démocratie et l’Etat Civil
Association Wachm
Bayti Association
Centre de soutien à la transition démocratique et aux droits de l’homme – Daam
Coalition tunisienne pour l’abolition de la peine de mort
Commission nationale pour la défense des libertés et de la démocratie
Fédération Tunisienne des Directeurs de Journaux
Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux
Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme
Observatoire national pour la défense du caractère civil de d’État
Organisation Mossawat égalité
Organisation tunisienne contre la torture
Réseau tunisien pour la justice transitionnelle
Syndicat des diplomés en chômage
Syndicat national des journalistes tunisiens
Union des Tunisiens indépendants pour la liberté
Union générale tunisienne du travail (UGTT)
Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie
Forum Ettajdid
Damj l’Association Tunisienne pour la Justice et l’Egalité
Coalition Soumoud