ARTICLE 19 condamne l’arrestation et la détention du directeur général de la radio Mosaïque FM, le journaliste Noureddine Boutar, en absence d’une claire accusation à son encontre. ARTICLE 19 condamne également toute tentative de restriction de la liberté d’expression et de la presse en Tunisie. Force est de constater que l’un des piliers d’une société démocratique, est la faculté pour les journalistes et les propriétaires d’institutions médiatiques d’exercer leur travail sans crainte de représailles. Nous exhortons les autorités tunisiennes à respecter les obligations constitutionnelles et internationales du pays en matière de protection de la liberté d’expression et des médias. Nous appelons également à la libération immédiate du directeur de la Radio Mosaïque FM.
Boutar a été arrêté dans la nuit du 13 février 2023, journée mondiale de la radio, par une brigade de sécurité, suite à une perquisition de son domicile , sans pour autant dévoiler son motif. Bien que cette dernière n’ait rien donné justifiant son arrestation, il a été conduit au siège de la brigade criminelle d’El Gorjani dans la capitale Tunis sans présentation d’un mandat de dépôt et sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui.
Il est à noter que l’arrestation du journaliste Boutar a coïncidé avec une campagne d’arrestations qui a eu lieu ces derniers jours et a inclus un certain nombre d’opposants politiques sous peine de la loi antiterroriste et anti-blanchiment.
Selon les déclarations de son avocat, les questions de l’enquête sécuritaire ont porté sur la ligne éditoriale de la radio, la gestion financière et administrative de l’institution, la nature et les sources de son financement, et les missions de journalistes et employés de l’institution médiatique qu’il dirige, dans un interrogatoire qui a duré 6 heures de suite. Le procureur de la République a décidé de garder Boutar en détention sans divulguer les charges retenues contre lui. Nous condamnons le manque de transparence qui a entaché la perquisition, l’arrestation et la détention de Boutar, et nous sommes profondément préoccupés par de telles pratiques, qui constituent une violation flagrante du droit à la liberté d’expression et sont qualifiées d’intimidation et de harcèlement des journalistes et des professionnels des médias à cause de leur travail.
ARTICLE 19 condamne également l’ingérence des services de sécurité dans toutes les affaires journalistiques, y compris les enquêtes sur la ligne éditoriale de Radio Mosaïque FM pendant les interrogatoires de Boutar. Nous demandons aux autorités tunisiennes de respecter l’indépendance et la diversité des plateformes médiatiques qui traitent des affaires politiques et des questions d’intérêt public – y compris celles qui critiquent les politiciens et les positions politiques – et auxquelles le public tunisien accède régulièrement pour glaner des nouvelles et des informations. Le respect de la liberté des médias est un élément essentiel d’un cadre pluraliste et démocratique, et est conforme aux dispositions de la Constitution tunisienne et des traités internationaux, notamment l’article 19 du Pacte international relatif aux droits politiques et civils. Respectant également, dispositions énoncées dans les traités régionaux, notamment l’article 32 de la Charte arabe des droits de l’homme, qui garantit le droit à l’information et la liberté d’opinion et d’expression, ainsi que le droit de chercher, de recevoir et de communiquer des informations et des idées à autrui par tout moyen.
Radio Mosaïque FM est l’une des radios les plus importantes en Tunisie et parmi les plus populaires et écoutées par les Tunisiens. Depuis la révolution de 2011, elle a consacré de nombreux programmes à des dialogues explicatifs et critiques à caractère politique, juridique et économique. ARTICLE 19 craint que l’arrestation du directeur de la Radio Mosaïque le vise en raison des émissions radiophoniques critiquant les affaires publiques et politiques, notamment depuis la déclaration de l’état d’exception dans le pays le 25 juillet 2021. Son arrestation n’est lors que le dernier exemple de la campagne menée contre lui et la radio Mosaïque FM.
ARTICLE 19 met en exergue les dispositions de l’Observation générale n° 34 du Comité des droits de l’Homme de l’ONU, qui disposent que « le Pacte accorde une importance particulière à l’expression sans entraves dans le cadre des débats publics concernant des personnalités du domaine public et politique qui sont tenus dans une société démocratique ». Et que « le Comité a relevé que dans le cadre du débat public concernant des personnalités publiques du domaine politique et des institutions publiques, le Pacte accorde une importance particulière à l’expression sans entraves.. »
ARTICLE 19 souligne toute société démocratique a un besoin indispensable d’une presse libre, non censurée et fonctionnant sans entraves capable de commenter les affaires publiques et informer l’opinion publique sans censure ni restriction. Ce qui fait de cette presse libre et indépendante la pierre angulaire de l’Etat de droit. En conséquence, aborder et critiquer des questions d’intérêt public ou politique par les médias et la presse est considéré comme l’une des bases et le fondement du travail journalistique et médiatique, conformément à l’Observation générale n° 25 du Comité des droits de l’Homme des Nations Unies.
ARTICLE 19 appelle les autorités tunisiennes à libérer immédiatement le journaliste Noureddine Boutar et à cesser de restreindre le travail des journalistes et des médias. Elle rappelle également aux officiels politiques que ces pratiques véhiculent un message négatif qui brouillerait la réputation des journalistes, des médias et des blogueurs, ainsi que leur travail. Ce qui demeure en contradiction flagrante avec les engagements jadis déclarés par le Président de la République et la cheffe du gouvernement à maintes reprises.