ARTICLE 19 demande à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) au Togo de reconsidérer sa décision de suspension du journal bi-hebdomadaire « L’Alternative » pour quatre mois, l’accusant de publier de fausses informations sur le ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Réforme foncière.
Alfred Nkuru Bulakali, Directeur Régional Adjoint de ARTICLE 19 Sénégal/Afrique de l’Ouest, a déclaré :
« La décision de la HAAC de suspendre un média pour avoir traité d’une question d’intérêt public, après une enquête mal menée, est une indication troublante que la presse n’est pas libre au Togo. Cette décision constitue un véritable revers pour la liberté d’expression. Cette suspension ne fera qu’intimider les médias et les pousser à l’autocensure.
Le rôle des médias dans la société est crucial, et la suspension de ce journal pour de fausses informations revient à priver les citoyens de leurs droits, ce qui est encore pire en cette période de crise sanitaire ».
Le 2 février 2021, le journal « L’Alternative » a publié un article accusant le Ministre de l’urbanisme, de l’habitat et de la réforme foncière d’être un « faussaire au sein du gouvernement », affirmant qu’il a utilisé la fraude en tant qu’administrateur des biens d’une famille appartenant à un riche défunt commerçant.
Le lendemain de la publication, le Ministre de l’urbanisme, de l’habitat et de la réforme foncière a porté plainte et a accusé « L’Alternative » et son Directeur de Publication de diffamation et d’atteinte à son honneur.
Le 5 février, la HAAC a invité le Directeur de Publication du journal « L’Alternative » à une séance d’audition sur la plainte du Ministre. Ce même jour, la HAAC a annoncé sa décision de suspendre « L’Alternative » pour quatre mois. Selon l’institution, le journal n’avait fourni aucune preuve pour répondre aux allégations lors de l’audition. La HAAC a en outre affirmé que « L’Alternative » avait utilisé des propos insultants dans la publication, confirmant leur mauvaise conduite professionnelle.
Suite à cette décision prise par la HAAC, ARTICLE 19 a interviewé le Directeur de Publication du journal « L’Alternative » Ferdinand AYITE, qui a déclaré :
«La décision de la HAAC est arbitraire car elle ne repose sur aucun élément sérieux. Nous nous sommes présentés à la HAAC avec nos preuves et le président et ses membres nous ont fait savoir que c’est la justice qui examine les preuves. Nous sommes alors surpris que dans leur décision ils affirment que nous n’avons apporté aucune preuve.»
Cette décision précipitée et disproportionnée de la HAAC est arbitraire car elle n’a pas indiquée le langage insultant utilisé par le journal ni les dispositions du code éthique qu’il a violées. Dans une lettre adressée au Président de la HAAC, le Directeur de Publication du journal « L’Alternative » a souligné que, le 18 janvier 2021 il avait envoyé une correspondance au Cabinet du ministre pour une rencontre. Mais le Ministre semblait indisponible. Après deux semaines de suivi, il a informé le Cabinet du Ministre que l’article serait publié. Au lieu de répondre au journal, le Cabinet du Ministre a écrit à la HAAC pour lui demander de faciliter et d’organiser une réunion pour discuter des allégations. Ce n’est qu’à la veille de la publication que le Cabinet du Ministre a appelé le journal pour lui remettre cette lettre, mais à ce moment-là, le journal était déjà au niveau de l’impression.
Le Directeur de Publication a également souligné que « L’Alternative » avait bien soumis ses preuves, mais lors de l’audience, la HAAC a insisté sur le fait que c’est la justice, et non elle, qui devrait examiner les preuves des allégations.
De plus, cette décision n’a pas fait l’unanimité au sein de la HAAC. Dans une lettre adressée au président de la HAAC le 8 février 2021, un de leurs membres du nom de Zeus Komi Aziadouvo s’est désolidarisé de l’institution, affirmant que la décision ne reflétait pas le déroulement de l’audition. Il a affirmé que la HAAC n’avait pas suffisamment enquêté sur les documents fournis par le Ministre et le journal.
La loi régissant la HAAC stipule que le régulateur est indépendant des autorités, des partis politiques et de tout groupe de pression.
Cette décision de suspendre le journal « L’Alternative » constitue une violation de la liberté de la presse et une forme de censure qui prive les citoyens de l’exercice de leur droit à la liberté d’expression et à l’accès à l’information, tel que garanti par la Constitution togolaise de 1992. La Charte africaine et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le Togo est partie, garantissent également le droit à l’expression et à l’information. La loi togolaise de 2016 sur la liberté d’accès à l’information et à la documentation publique garantit également le droit d’accès à l’information.
Ce n’est pas la première fois que les autorités réduisent au silence des journaux indépendants après qu’ils aient fait des reportages sur des politiciens. En janvier 2021, par exemple, la justice togolaise a interdit la publication du journal « L’Indépendant Express » à la demande de la HAAC en raison de la publication d’un article intitulé « Scoop de fin d’année : Femmes ministres interpellées pour vol de cuillères dorées » en décembre 2020. En mars 2020, la HAAC a suspendu pour deux mois les journaux « Liberté » et « L’Alternative », suite à une plainte de l’Ambassade de France au Togo. Ils étaient accusés de publier des articles contenant « des accusations graves, infondées et diffamatoires » contre l’ambassadeur de France au Togo, qu’ils soupçonnaient d’ingérence dans le processus électoral togolais.
« Nous sommes très inquiets des décisions multiples et sévères prises par la HAAC de suspendre des médias au Togo », a déclaré Alfred Nkuru Bulakali, Directeur Régional Adjoint de ARTICLE 19 Sénégal/Afrique de l’Ouest. « Garantir la liberté et la protection de la presse devrait être à l’ordre du jour de la HAAC, au lieu de prendre des décisions draconiennes pour museler la liberté d’expression et restreindre le droit d’accès à l’information. »
La HAAC devrait mettre en œuvre le principe 16 de la Déclaration de Principes sur la Liberté d’expression et l’Accès à l’Information en Afrique, qui encourage les États à permettre l’autorégulation des médias.
La HAAC et les autorités togolaises continuer à travailler à la mise en oeuvre des recommandations de l’EPU de 2016 qui mettent l’accent sur la protection de la liberté d’expression et de la presse. Le Togo a accepté ces recommandations mais doit encore les mettre en œuvre. Dans la pratique, le Togo continue à prendre des mesures drastiques pour restreindre l’accès à l’information et la liberté d’expression dans les médias.
Pour plus d’informations, veuillez contacter
Alfred Nkuru Bulakali, Directeur Régional Adjoint: [email protected]
Ou Eliane NYOBE, Assistante de Programmes Senior, ARTICLE 19 Sénégal/Afrique de l’Ouest: [email protected]
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