ARTICLE 19 a suivi avec intérêt le procès en diffamation contre le journaliste Madiambal Diagne devant le tribunal correctionnel de Dakar suite à une plainte du juge Ousmane Téliko, président de l’Union des Magistrats du Sénégal (UMS) . Le tribunal a condamné le journaliste à une peine de prison de 6 mois, dont 3 mois ferme, et une amende de 600.000 FCFA (1090 USD) le 17 juin 2021.
Madiambal Diagne est Directeur d’Avenir Communication et Editeur du journal Le Quotidien. Au cours de l’émission « Grand Jury » du 29 mars 2021 sur la Radio Futurs Médias (RFM), le journaliste Diagne avait soutenu que le juge Souleymane Téliko a été épinglé par un rapport de l’Union européenne pour avoir indûment réclamé des frais de mission pour un hébergement au Tchad alors que lesdits frais avaient déjà été pris en charge par le gouvernement tchadien. En réaction à cette allégation, Téliko a décidé de poursuivre Diagne pour diffamation. A l’issue de l’instruction, le tribunal correctionnel de Dakar y statuant le 17 juin 2021, a reconnu le journaliste Diagne coupable du crime de diffamation envers le juge Téliko. Il a ainsi été condamné à six mois de prison, dont trois mois ferme et à une amende de 600 000 F CFA. Par ailleurs, le juge l’a condamné à verser la somme de 5.000.000 FCFA (9,046 USD) au juge Téliko aux titres des dommages et intérêts. Le tribunal lui a également intimé l’ordre de publier cette décision dans les journaux locaux, sous astreinte de 100 000 F CFA (180.86 USD) par jour de retard.
Réagissant à cette condamnation, Alfred Nkuru Bulakali, Directeur Régional Adjoint de ARTICLE 19 Sénégal et Afrique de l’Ouest, a insisté sur le fait que la diffamation et les délits de presse similaires ne devraient pas être criminalisés et devraient plutôt être traités comme des affaires civiles.
« Les peines de prison prononcées contre le journaliste Diagne dans cette affaire sont disproportionnées. Non seulement elles visent à priver le journaliste de sa liberté, mais elles sont aussi de nature à priver le public de l’accès à l’information. Les peines privatives de liberté ont un effet dissuasif et intimidateur sur les autres journalistes, qui pourraient opter pour l’autocensure par crainte des représailles judiciaires et de la prison.
ARTICLE 19 a, à plusieurs reprises, exprimé ses inquiétudes concernant les dispositions des lois sénégalaises sur les médias qui criminalisent les délits de presse tels que les injures et la diffamation, dans la mesure où elles menacent la liberté d’expression et la liberté de la presse. Il est urgent que les autorités sénégalaises abrogent toutes ces dispositions et mettent leur législation en conformité avec les normes internationales relatives à la liberté d’expression et des médias. Les autorités doivent s’abstenir d’appliquer des sanctions privatives de liberté contre journalistes en faveur des sanctions civiles, qui doivent elles aussi être nécessaires et proportionnées , comme le recommandent les organes internationaux de droits humains. Les sanctions civiles devraient en outre assurer la protection de la vérité. La démocratie sénégalaise a besoin de lois qui puissent garantir pleinement une presse libre », a-t-il déclaré.
Les peines privatives de liberté pour diffamation criminelle constituent une violation de la liberté d’expression et du droit du public à l’information. Les normes africaines et internationales établissent clairement que la criminalisation de la diffamation n’est pas une restriction justifiable à la liberté d’expression et que les lois sur la diffamation criminelle doivent être abolies et remplacées, quand c’est nécessaire, par des sanctions civiles appropriées
Le journaliste Diagne a fait appel contre sa condamnation. ARTICLE 19 encourage ce processus et appelle les autorités judiciaires à prendre en compte les normes internationales de liberté d’expression, en particulier les décisions des organes et tribunaux régionaux des droits de l’homme lorsqu’ils ont eu à se prononcer sur cette question.
En effet, la Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information souligne expressément que les personnalités publiques devraient tolérer davantage de critiques que les citoyens ordinaires et que les sanctions pour diffamation ne devraient jamais être si sévères au point d’entraver le droit à la liberté d’expression. Il est également rappelé aux États que les peines privatives de liberté pour diffamation violent le droit à la liberté d’expression et que les lois pénales sur la diffamation devraient être abrogées. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et la Cour de justice de la CEDEAO condamnent sans équivoque le recours aux peines privatives de liberté contre les journalistes pour diffamation.
Dans l’affaire du journaliste Lohé Issa Konaté contre le Burkina Faso, la Cour africaine a jugé dans son arrêt du 15 décembre 2014 que le Burkina Faso a violé l’article 9 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Charte), l’article 66 (2) du Traité de la CEDEAO ainsi que l’article 19 du Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) en raison de la condamnation de Konaté à une peine d’emprisonnement, au payement d’une amende et des dommages et intérêts excessifs. La Cour africaine a ordonné au Burkina Faso de réformer sa législation sur la diffamation pour la rendre conforme à l’article 9 de la Charte, à l’article 66 (2) du Traité de la CEDEAO et à l’article 19 du PIDCP en abrogeant les peines privatives de liberté et en adaptant les autres sanctions pour s’assurer qu’elles répondent au critère de nécessité et de proportionnalité.
En outre, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d’opinion et d’expression, le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias et le rapporteur spécial de l’Organisation des États Américains (OEA) sur la liberté d’expression ont affirmé dans une déclaration conjointe que : Les peines privatives de liberté pour diffamation ne sont justifiables ; toutes les lois qui prévoient des sanctions pénales en cas de diffamation devraient être abolies et remplacées, si nécessaire, par des lois civiles appropriées sur la diffamation.
ARTICLE 19 a longtemps milité pour que les gouvernements mettent fin à la criminalisation de la diffamation. Dans une série de principes élaborés pour guider les gouvernements sur le traitement légal de la question de la diffamation, ARTICLE 19 recommande ce qui suit : Les peines de prison ou toute autre forme de privation de liberté, les amendes excessives et autres sanctions sévères ne devraient jamais être prévues pour sanctionner une violation des lois sur la diffamation.
Aissatou Diallo Dieng, Assistante de Direction, ARTICLE 19 Sénégal/Afrique de l’Ouest : E : [email protected] T : +221 33 869 03 22 ou
Eliane NYOBE, Assistante de programme senior, ARTICLE 19 Sénégal/Afrique de l’Ouest : [email protected] T : +221 77 553 13 87 ou +221 33 869 03 22
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