Lettre conjointe de la société civile sur le renouvellement du mandat du Rapporteur Spécial sur l’Iran

Lettre conjointe de la société civile sur le renouvellement du mandat du Rapporteur Spécial sur l’Iran - Civic Space

12 mars 2015

A l’attention des Etats membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU

Madame, Monsieur l’Ambassadeur,

Nous, organisations soussignées de la société civile, vous adressons cette lettre pour appeler votre gouvernement à soutenir la résolution renouvelant le mandate du Rapporteur spécial sur la situations des droits de l’homme en République Islamique d’Iran à la 28ème session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (« le Conseil »).

La situation en Iran reste marquée par des violations systématiques des droits de l’homme, profondément enracinées dans les lois, les politiques et les pratiques, qui appellent une attention continue du Conseil. Le renouvellement du mandat du Rapporteur spécial permettrait de s’assurer que les droits de l’homme en Iran restent une priorité à l’échelle mondiale, et pour ce Conseil. En tant que membre du Conseil, votre pays a été investi de la responsabilité de protéger et de promouvoir les droits de l’homme. Presser les autorités iraniennes à faire en sorte que les Iraniennes et les Iraniens bénéficient des droits garantis par les conventions de droits de l’homme auxquelles l’Iran est partie, et auxquelles ils et elles ont droit, participe de cette responsabilité. Le mandat du Rapporteur spécial constitue un moyen efficace et constructif de promouvoir et de protéger ces droits.

Comme vous le savez, le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme en Iran a présenté dans ses rapports des informations fiables, étayées par des sources crédibles, et ayant fait l’objet de recherches approfondies, malgré le refus du gouvernement iranien de lui donner accès au territoire. Les rapports comprennent des témoignages et autres informations de première main collectées auprès de sources à l’intérieur de l’Iran, par l’utilisation des technologies modernes de l’information et de la communication, ainsi que des informations crédibles venant d’organisations non-gouvernementales à l’extérieur du pays. Le Rapporteur spécial a émis des recommandations contenant des mesures d’actions concrètes que devrait prendre le gouvernement iranien pour se mettre en conformité avec ses obligations juridiques et ses engagements internationaux en matière de droits de l’homme. Sur la scène internationale, ces rapports attirent l’attention de la communauté internationale sur un certain nombre de défis en matière de droits de l’homme en Iran, dont certains sont énumérés dans la Fiche d’Information en annexe.

L’engagement actif du Rapporteur spécial a encouragé et stimulé la société civile iranienne, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Ses activités, dans le cadre de son mandat, ont apporté une contribution au débat interne sur les droits  de l’homme en Iran. Surtout, le Rapporteur spécial a apporté un soutien crucial au travail, à la sécurité, voire dans un certain nombre de cas à la libération de défenseurs des droits de l’homme, d’avocats et de prisonniers d’opinion. Dans ses rapports et dans ses communiqués de presse communs avec d’autres Procédures spéciales, le Rapporteur a soulevé des inquiétudes au sujet de nombreux cas individuels, qui ont vu par la suite, pour certains, une amélioration tangible de l’attitude de l’Etat à leur égard. Le renouvellement du mandat du Rapporteur spécial enverrait un message fort aux Iraniennes et aux Iraniens que la communauté internationale continue à se préoccuper de leurs droits.

Le dernier Examen périodique universel (EPU) de l’Iran, qui s’est tenu le 31 octobre 2014 et a vu la communauté internationale répéter en bonne partie les recommandations qui avaient déjà été adressées au gouvernement iranien durant le premier EPU en 2010, a souligné une nouvelle fois la valeur du travail du Rapporteur spécial et l’importance de renouveler son mandat.

Nous appelons vos gouvernements à participer activement au dialogue interactif avec le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République Islamique d’Iran, à encourager les autorités iraniennes à coopérer avec le Rapporteur spécial, et à soutenir avec force le renouvellement de son mandat comme un moyen de contribuer, de façon concrète, à la promotion et à la protection des droits de l’homme en Iran.

 

Thomas Hughes, Directeur exécutif

ARTICLE 19 

Roya Boroumand, Directrice exécutive

Abdorrahman Boroumand Foundation

Robin Phillips, Directeur exécutif

The Advocates for Human Rights

Hassiba Hadi Sahraoui, Directrice adjointe du programme Moyen Orient Afrique du Nord

Amnesty International 

Kamran Ashtary, Directeur exécutif

Arseh Sevom 

Md. Ashrafuzzaman, Chargé de liaison auprès de l’ONU
Asian Legal Resource Center

Alirza Quluncu, Représentant

The Association for Defence of Azerbaijani Political Prisoners in Iran

Duman Radmehr, Directeur exécutif

Association for Human Rights of the Azerbaijani People in Iran

Taimoor Aliassi, Représentant auprès de l’ONU

Association of Human Rights in Kurdistan of Iran-Geneva

Diane Ala’i, Représentante auprès des Nations unies
Bahá’í International Community

 Mansoor Bibak, Co-Directeur

Balochistan Human Rights Group

 Renate Bloem, Représentante auprès de l’ONU à Genève

CIVICUS

 Comité de direction

Committee of Human Rights Reporters

 Joel Simon, Directeur exécutif

Committee to Protect Journalists 

 Juana Kweitel, Directeur du programme

Conectas Direitos Humanos

 Dr. Shirin Ebadi, Fondatrice et Présidente

Center for Supporters of Human Rights

 Hassan Shire, Directeur exécutif

East and Horn of Africa Human Rights Defenders Project

 Raphaël Chenuil-Hazan, Directeur exécutif

Ensemble Contre La Peine de Mort

 Ibrahim Al Arabi, Directeur exécutif

European Ahwazi Human Rights Organisation

Keyvan Rafiee, Directeur exécutif

Human Rights Activists in Iran

Sarah Leah Whitson, Directrice du département Moyen Orient Afrique du Nord

Human Rights Watch

 Mani Mostofi, Directeur

Impact Iran

 Mohammad Nayyeri, Directeur

Insight Iran

Hadi Ghaemi, Directeur exécutif

International Campaign for Human Rights in Iran

Jessica Stern, Directrice exécutive

International Gay and Lesbian Human Rights Commission

 Phil Lynch, Directeur

International Service for Human Rights

 Mahmood Amiry-Moghaddam, Directeur exécutif

Iran Human Rights

 Saghi Ghahraman, President

Iranian Queer Organization (IRQO)

Shadi Sadr, Co-Directrice

Justice for Iran

 Tara Fatehi, Porte-parole

The Kurdistan Human Rights Network

 Mehrangiz Kar, Présidente

Siamak Pourzand Foundation

 Mahmood Enayat, Directeur

Small Media

 Hassan Nayeb Hashem, Représentant auprès du Conseil des droits de l’homme à Genève

Südwind: All Human Rights for All in Iran

Firuzeh Mahmoudi, Directrice exécutive

United for Iran

 Mohammad Mostafaei, Directeur

Universal Tolerance

Shadi Amin, Coordinatrice

6rang: Iranian Lesbian and Transgender Network  

 

Fiche d’information: la situation des droits de l’homme en Iran en début 2015 

L’Iran est confronté à une situation chronique de violations graves des droits de l’homme. Celles-ci continuent à être perpétrées par les autorités, et en particulier par les organes de sécurité, de renseignement et l’appareil judiciaire iranien. Plusieurs aspects de cette situation sont décrits ci-après.

Peine de mort

Depuis plusieurs années consécutives, l’Iran est l’Etat qui exécute le plus en rapport à sa population. L’Iran prévoit la peine de mort pour une grande variété de crimes, notamment des crimes larges et mal définis tels que « semer la corruption sur terre », ainsi que certaines violations du droit iranien qui ne constituent pas des « crimes les plus graves » au sens du droit international. Le nombre d’exécutions à travers le pays aurait augmenté ces dernières années, passant d’au moins 580 exécutions en 2012, à 687 exécutions en 2013 et 753 en 2014. Certaines sentences sont exécutées en public.

Dans de nombreux cas, les tribunaux ont imposé des peines capitales après des procès qui n’étaient pas conformes aux standards internationaux en matière de procès équitables, à cause notamment de l’acceptation d’aveux obtenus sous la torture ou d’autres mauvais traitements. Les personnes détenues dans les couloirs de la mort se sont souvent vues refuser la présence d’un avocat durant la phase d’instruction.

De nombreux délinquants juvénils, dont certains ont été condamnés ces dernières années pour des crimes commis avant qu’ils aient 18 ans, attendent dans les couloirs de la mort. D’autres ont été exécutés. Le nouveau Code Pénal Islamique permet l’exécution de délinquants juvénils dans le cadre du qisas (rétribution en nature) ou de hodoud (crimes pour lesquelles il existe une peine fixe prescrite par le droit islamique), sauf si un juge décide que l’auteur ne comprenait pas la nature du crimes ou ses conséquences, ou s’il y a un doute sur les capacités mentales de l’auteur. Saman Naseem, qui a été arrêté alors qu’il avait 17 ans, a été condamné à mort pour Moharebeh (« guerre contre Dieu ») et Ifsad Fil Arz (« corruption sur terre ») pour sa participation supposée à des activités armées. Il est rapporté que des membres de la sécurité l’auraient torturé en détention pour obtenir une « confession ». L’ONG Iran Human Rights a comptabilisé, rien qu’en 2014, au moins 14 exécutions de personnes qui auraient été mineures au moment des faits qui leur sont reprochés.

Le nouveau Code Pénal Islamique prévoit toujours des peines de lapidation à mort pour le crime d’adultère. Au moins une condamnation à la lapidation a été rapportée en juillet 2014, à Ghaemshahr, dans la province de Mazandaran. Aucune exécution par lapidation n’a été rapportée depuis 2009.

Droits des femmes

En dépit d’améliorations mineures sous la présidence d’Hassan Rouhani
telles que la levée de nombreux quotas de femmes dans les universités, les femmes en Iran restent sujettes à une discrimination systématique dans de nombreux domaines, en droit et en pratique. Les politiques traditionnelles visant à restreindre l’emploi des femmes et à les encourager à rester à la maison et à poursuivre leurs rôles « traditionnels » d’épouses et de mères ont continué. Alors que les femmes constituent à peu près la moitié des étudiants à l’université, leur participation à l’économie de l’Iran constitue seulement 12,8%, cinq fois moins que les hommes, selon des chiffres issus du gouvernement. Les dispositions des lois de statut personnel consacrant l’infériorité des femmes par rapport aux hommes, en matière de mariage, de divorce, de garde des enfants et d’héritage sont toujours en place.

Deux projets de lois sur la population, actuellement devant le Parlement, menacent de réduire l’accès des femmes aux services de santé sexuelle et reproductive. Un projet de loi propose d’empêcher les opérations chirurgicales qui empêchent les grossesses de façon permanente en condamnant pénalement les professionnels de santé qui entreprendraient de tels actes. L’autre projet de loi vise à réduire le nombre de divorces et à limiter le recours aux tribunaux en matière de divorce, au profit de la médiation.

Une réunion pacifique devant le Parlement iranien à Téhéran, le 22 octobre 2014, durant laquelle des manifestants et manifestantes demandaient que le gouvernement réagisse suite aux attaques à l’acide commises contre des femmes et des filles à travers l’Iran, s’est soldée par l’arrestation et le passage à tabac de certains des manifestants par des agents de sécurité. Les autorités ont fait dispersé par la force un autre rassemblement devant le Palais de Justice d’Ispahan, avec des agents en civil faisant usage de battons et de gaz lacrymogènes contre les manifestants. Les autorités ont retenu la défenseure des droits des femmes Mahdieh Golroo, une des participantes arrêtées alors qu’elle participait à la manifestation pacifique devant le Parlement, pendant trois mois, et ne l’ont libéré sous caution que le 27 janvier 2015.

Droits des minorités

Les minorités religieuses et ethniques continuent à subir des violations de leurs droits, en droit et en pratique. Les Baha’is sont systématiquement empêchés d’accéder à l’université, aux emplois publics et ne peuvent obtenir de licences professionnelles pour avoir une activité. Ils n’ont pas non plus le droit de tenir des cérémonies religieuses. En janvier 2015, au moins 100 Baha’is ont été emprisonnés pour leurs activités religieuses et communautaires. Des personnes converties au christianisme, et notamment ceux et celles impliqués dans des cérémonies tenues à l’intérieur des maisons, ont été arrêtés et emprisonnés. Cinq membres de la communauté soufi derviche Gonabadi sont toujours derrière les barreaux, pour l’exercice pacifique de leurs droits fondamentaux.

Malgré des garanties constitutionnelles d’égalité, les personnes appartenant à des minorités ethniques, tels que les arabes Ahwazi, les turcs azeri, les baloutches, les kurdes et les turkmènes continuent à se heurter à de nombreuses lois et pratiques discriminatoires, ce qui a un effet sur leur accès à des services de base comme le logement, l’eau potable, l’emploi et l’éducation. Malgré quelques ouvertures, les autorités iraniennes continuent de refuser aux minorités ethniques le droit d’apprendre dans leurs langues maternelles, particulièrement au début de leur parcours éducatif. Les membres des groupes minoritaires, en particulier ceux qui cherchent à faire reconnaître leurs droits linguistiques et culturels, sont victime de persécutions, et notamment d’arrestations et d’emprisonnement. Cinq membres de Yeni GAMOH, une organisation azerbaidjani-turque basée en Iran, purgent actuellement une peine de neuf ans de prison pour des faits liés à leur militantisme culturel et politique, selon certains rapports.

 Liberté d’expression et des médias

Les attaques contre la liberté d’expression ont été en augmentation l’an dernier, qui a vu une forte augmentation des arrestations pour des délits liés à Internet, ainsi que la continuation des arrestations de journalistes et de bloggeurs et la fermeture forcée de journaux. Selon le Comité pour la Protection des Journalistes, avec 30 journalistes emprisonnés début 2015, l’Iran est le second pays qui détient le plus de journalistes. Le correspondent du Washington Post à Téhéran, le journaliste américano-iranien Jason Rezaian a été détenu pendant plus de six mois sans avoir eu accès à un avocat ou sans avoir été formellement inculpé. En novembre 2014, des officiels iraniens ont déclaré que Jason Rezaian serait « bientôt » relâché.

Depuis octobre 2013, au moins sept organes de presse iraniens – Bahar, Aseman, Ghanoon, Roozan, Ebtekar, 9 of Dey et Ya Al Sarat Al Hossein – ont été fermés par les autorités, de façon temporaire ou permanente.

En avril 2014, un tribunal révolutionnaire iranien a condamné huit jeunes iraniens actifs sur Facebook à un total de 127 années de prison, ce qu’une cour d’appel a par la suite réduit à 114 ans. Les tribunaux les ont jugé coupable d’ « actions contre la sécurité de l’Etat», de « propagande contre l’Etat » et d’« insulte envers l’Islam et les officiels de l’Etat ». En novembre 2014, la Cour Suprême d’Iran a confirmé la condamnation à mort de Soheil Arabi, pour avoir « insulté le Prophète » dans des publications sur Facebook. Dans son arrêt, la Cour Suprême a par ailleurs ajouté de manière arbitraire et contraire au droit un nouveau motif d’accusation contre Soheil Arabi : celui de « corruption sur terre ».

Prisonniers d’opinion et prisonniers politiques

L’Iran continue à détenir des centaines de prisonniers politiques et de prisonniers d’opinion, emprisonnés pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association, de réunion ou de religion, selon le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Iran. Parmi ces prisonniers, on trouve des journalistes, des avocats, des défenseurs des droits de l’homme, des artistes, des bloggeurs, des travailleurs sociaux, des membres de partis politiques d’opposition, des militants étudiants, des militants pour les droits des minorités ethniques ou religieuses. Beaucoup d’autres sont détenus suite à des poursuites et à des condamnations rendues par des tribunaux révolutionnaires, lors de procès qui n’étaient pas conformes aux standards internationaux de procès équitables, et pour lesquelles il y a des suspicions de poursuites pour avoir simplement exercé leurs droits fondamentaux. De nombreuses personnes détenues ont fait état de torture et de mauvais traitements, notamment des passages à tabac, des simulacres d’exécutions et un maintien prolongé à l’isolement.

Parmi les défenseurs des droits de l’homme actuellement détenus dans les prisons iraniennes, on trouve l’avocat Abdolfattah Soltani, le journaliste Mohammad Saddigh Kaboudvand, qui est aussi un membre de la minorité kurde d’Iran, et dont la détention a été déclarée arbitraire par le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire. Les leaders du Mouvement Vert et anciens candidats aux élections présidentielles Mir Hossein Mousavi et Medhdi Karroubi, ainsi que la femme de M. Mousavi, une figure académique et politique bien connue, Zahra Rahnavard, ont été placés en résidence surveillée, sans justifications juridiques et sans procès, depuis février 2011.