Le Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, le Représentant de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour la liberté des médias, le Rapporteur spécial de l’Organisation des États américains (OEA) pour la liberté d’expression et le Rapporteur spécial sur la liberté d’expression et d’accès à l’information de la Commission africaine des droits de l’homme et des peoples (CADHP),
Ayant débattu de ces questions avec l’assistance d’ARTICLE 19 : Campagne mondiale en faveur de la liberté d’expression et le Centre for Law and Democracy (Centre pour le droit et la démocratie);
Rappelant et réaffirmant nos déclarations conjointes des 26 novembre 1999, 30 novembre 2000, 20 novembre 2001, 10 décembre 2002, 18 décembre 2003, 6 décembre 2004, 21 décembre 2005, 19 décembre 2006, 12 décembre 2007, 10 décembre 2008, 15 mai 2009, 3 février 2010, 1er juin 2011, 25 juin 2012 et 4 mai 2013 ;
Soulignant une fois de plus l’importance fondamentale de la liberté d’expression, droit à part entière et outil indispensable pour la défense de tous les autres droits, ainsi qu’un élément central de la démocratie et indispensable pour la promotion des objectifs du développement ;
Reconnaissant l’universalité de la liberté d’expression, qui se traduit par son inclusion dans les normes et traités internationaux et régionaux relatifs aux droits humains et dans les constitutions nationales, ainsi que par l’adoption généralisée par les États de la démocratie fondée sur la liberté d’expression comme système de gouvernement, et par la reconnaissance de la liberté d’expression comme valeur humaine fondamentale dans toutes les principales traditions culturelles, philosophiques et religieuses du monde entier ;
Conscients que, dans le cadre de la liberté d’expression, l’universalité implique à la fois l’obligation des États de s’abstenir de restreindre indûment ce droit et leur obligation positive de veiller à ce que tous les individus et les groupes puissent jouir de ce droit et l’exercer sans discrimination tant pour rechercher et recevoir des informations que pour diffuser des informations et des idées ;
Conscients que lorsque la liberté d’expression fait l’objet d’attaques, il s’agit souvent d’une alerte précoce indiquant une menace pesant sur tous les droits humains et la détérioration de la situation sécuritaire ;
Rappelant que la liberté d’expression est un pilier du développement durable et qu’elle est essentielle pour garantir des institutions publiques efficaces, transparentes, responsables et démocratiques ;
Inquiets des tentatives fréquentes pour justifier les violations du droit à la liberté d’expression, le plus souvent à des fins purement politiques, en se référant à des spécificités culturelles, à des valeurs traditionnelles ou communautaires ou à des croyances morales et religieuses, ou encore à des menaces présumées pour la sécurité nationale ou l’ordre public ;
Profondément préoccupés par le fait que les minorités, ainsi que d’autres groupes qui ont souffert historiquement de discrimination, sont empêchés d’exercer pleinement leur droit à la liberté d’expression, et par conséquent, continuent d’être tenus à l’écart des domaines politique, économique, social et culturel ;
Constatant que la liberté d’expression, de pair avec le droit d’être protégé contre la discrimination auquel il ne peut être dérogé, protège les droits de tous les individus et groupes d’exprimer des opinions qui diffèrent, même fortement, de celles de la majorité tant qu’elles ne violent pas les restrictions légitimes à la liberté d’expression, par exemple celles concernant l’incitation à la haine ;
Soulignant que la nature même et l’importance des droits humains exigent la modification ou la suppression des lois, règlements, coutumes et pratiques entraînant la discrimination, entre autres formes d’atteintes aux droits humains, et notant que cela est inscrit dans de nombreuses déclarations importantes relatives aux droits humains, notamment la Déclaration et le programme d’action de Vienne de 1993, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Convention relative aux droits des personnes handicapées ;
Reconnaissant le rôle positif important qu’un débat ouvert à propos de différentes cultures, valeurs, traditions, croyances et pratiques peut jouer pour promouvoir la compréhension et la paix, et combattre la haine, la discrimination et la violence ;
Adoptons à Paris, le 6 mai 2014, la Déclaration conjointe suivante sur l’universalité et le droit à la liberté d’expression :
Recommendations aux États
a. Les États doivent prendre des initiatives positives afin que tous les individus et groupes puissent réaliser leur droit à la liberté d’expression sans discrimination. Les initiatives spécifiques nécessaires seront différentes d’un État à l’autre, mais les mesures suivantes doivent être envisagées :
- Renforcer l’obligation des organismes publics audiovisuels de répondre aux besoins d’information et d’expression des différents individus et groupes composant la société et de promouvoir la compréhension et la tolérance.
- Créer un cadre juridique favorable pour la communauté médiatique afin qu’elle soit en mesure de répondre aux besoins d’information et d’expression des différents individus et groupes composant la société.
- Apporter une aide, financière ou règlementaire, aux médias ou au contenu médiatique, par exemple dans certains formats ou langues, qui réponde aux besoins d’information et de voix de différents individus et groupes.
- De manière générale, mettre en place un cadre juridique et règlementaire propre à promouvoir les droits des différents individus et groupes d’accéder aux médias et aux technologies numériques et de les utiliser pour diffuser leur propre contenu ainsi que pour recevoir des contenus pertinents produits par autrui.
b. Les États doivent prendre des mesures concrètes et efficaces pour modifier ou supprimer les stéréotypes, préjugés et pratiques néfastes, y compris les valeurs ou pratiques traditionnelles ou coutumières, qui compromettent la capacité de tous les individus et groupes composant la société de jouir du droit à la liberté d’expression.
c. Les États ne doivent pas imposer de restrictions à la liberté d’expression, sauf si elles satisfont aux critères prévus par le droit international, et notamment remplissent les normes de légalité (prévues par la loi), servent l’un des buts légitimes énoncés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), et sont nécessaires et proportionnées.
d. Les États disposent d’une flexibilité limitée au regard du droit international pour décider de restreindre ou non, et de quelle manière, la liberté d’expression en vue de protéger des objectifs légitimes tout en respectant les normes énoncées plus haut, y compris pour refléter leurs traditions, leur culture et leurs valeurs. Le droit international reconnaît également que différentes approches en matière de restrictions de la liberté d’expression peuvent être justifiées par les situations de fait très diverses auxquelles les États peuvent être confrontés. Aucune de ces variations ne porte atteinte de quelque façon que ce soit au principe d’universalité de la liberté d’expression, et les restrictions à cette liberté ne doivent jamais correspondre à l’imposition par certains groupes de leurs traditions, de leur culture et de leurs valeurs aux autres.
e. Il existe un noyau de liberté d’expression sur lequel les États ne disposent d’aucun pouvoir, ou tout au plus d’un pouvoir extrêmement limité, d’adapter des restrictions pour prendre en compte les traditions, la culture et les valeurs locales, et qui inclut tout particulièrement le discours politique, au sens large du terme, étant donné le caractère central de ce discours pour la démocratie et le respect de l’ensemble des droits humains, ce qui suppose également que les personnalités publiques doivent accepter un niveau plus élevé de contrôle de la société.
f. Certains types de restrictions légales à la liberté d’expression ne peuvent en aucun cas être justifiées en faisant référence aux traditions, à la culture et aux valeurs locales. Lorsqu’elles existent, elles doivent être abrogées et quiconque a été sanctionné aux termes de ces restrictions doit être exonéré de toute responsabilité et doit obtenir une réparation idoine pour la violation de ses droits fondamentaux. Ces restrictions sont les suivantes :
- Les lois qui protègent les religions contre toute critique ou prohibent l’expression de croyances religieuses dissidentes.
- Les lois qui prohibent le débat sur des questions qui préoccupent ou intéressent les minorités et d’autres groupes qui ont souffert historiquement de discrimination ou qui prohibent tout discours constituant un élément de l’identité ou de la dignité personnelle de ces individus et/ou de ces group
- Les lois qui accordent une protection spéciale contre toute critique aux agents de l’État, aux institutions, aux personnalités historiques, ou aux symboles nationaux ou religieux.
g. Les États doivent accorder une attention spéciale, en cas de besoin compte tenu des circonstances locales, à la lutte, y compris par des programmes spécifiques, contre la discrimination historique, les préjugés et/ou les partis pris qui entravent la jouissance égale par certains groupes du droit à la liberté d’expression.
h. La portée mondiale et l’efficacité d’Internet, ainsi que son pouvoir relatif et son accessibilité par rapport à d’autres plates-formes de communication, signifie qu’il joue un rôle essentiel dans la réalisation de l’universalité de la liberté d’expression. Dans ce contexte, les principes suivants s’appliquent:
- Le droit à la liberté d’expression, qui s’applique sans considération de frontières, protège l’Internet, tout comme d’autres formes de communication.
- Il faut user d’une prudence extrême lorsqu’on impose des restrictions à la liberté d’expression sur Internet et d’autres technologies numériques, compte tenu du fait que de telles mesures dans un territoire peuvent avoir un impact dans d’autres territoires.
- Les États doivent promouvoir activement un accès universel à Internet quelles que soient les différences politiques, sociales, économiques ou culturelles, y compris en respectant les principes de neutralité d’Internet et du caractère central des droits humains pour son développement.
Recommendations aux autres acteurs
a. Les organismes internationaux, régionaux et nationaux de défense des droits humains doivent exercer une surveillance et prendre des mesures pour s’attaquer aux restrictions à la liberté d’expression qui sont revendiquées comme étant justifiées par des traditions, pratiques, cultures et/ou valeurs spécifiques, ainsi qu’aux situations dans lesquelles certains groupes sont confrontés à des obstacles systématiques pour exercer dans la pratique leur droit à la liberté d’expression.
b. La communauté internationale – y compris les organes intergouvernementaux et les États – doit prendre des mesures en vue de promouvoir un dialogue et un débat accrus sur ces questions en vue de favoriser une meilleure compréhension et une collaboration en faveur du respect universel de la liberté d’expression.
c. Les médias doivent jouer un role positif pour lutter contre la discrimination, les stéréotypes, les préjugés et les partis pris, y compris en mettant en relief leurs dangers, en observant les normes professionnelles et éthiques les plus élevées, en abordant des sujets de préoccupation pour les minorités et en donnant à leurs membres la possibilité de s’exprimer et d’être entendus.
Frank LaRue
Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’expression et d’opinion
Dunja Mijatović
Représentant de l’OSCE pour la liberté des médias
Catalina Botero Marino
Rapporteure spéciale de l’OEA pour la liberté d’expression
Faith Pansy Tlakula
Rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP)