A deux semaines de l’élection présidentielle en Guinée, ARTICLE 19 tire la sonnette d’alarme : le gouvernement de Guinée, en nommant un président de l’autorité de régulation des médias, « la Haute Autorité de Communication (HAC)« , a pris des mesures qui portent atteinte à l’indépendance des médias.
Le nouveau Parlement de Guinée dont les membres ont été élus lors des élections de mars, boycottées par les principaux partis d’opposition, a adopté une loi controversée qui porte atteinte à l’indépendance de l’organe de régulation des médias, la Haute Autorité de Communication (HAC), en donnant au Président de la République le pouvoir d’intervenir dans sa gouvernance.
Fatou Jagne Senghore, Directrice Régionale de ARTICLE 19 Afrique de l’Ouest, a dénoncé l’implication du pouvoir exécutif dans la procédure de nomination du président de la HAC :
« Cette ingérence du pouvoir public dans la gouvernance de la HAC est inacceptable. Cette intervention est susceptible de peser sur les décisions de l’organe de régulation dans les médias. Dans la réglementation des médias, cette loi constitue un sérieux revers.
Les autorités doivent abroger ces dispositions immédiatement afin de garantir que la HAC conserve son indépendance vis-à-vis des autorités politiques, conformément aux normes internationales en matière de droits de l’homme ».
Le 25 août, le président de la République a, par décret, nommé Boubacar Yacine Diallo comme président de la HAC. Cette nomination fait suite à l’adoption par le Parlement, en juillet 2020, d’une nouvelle loi sur la composition, l’organisation et le fonctionnement de la Haute Autorité de la Communication (HAC).
Les principaux changements apportés à la loi sont les suivants :
- Le Président de la République désignera le chef de l’organe de régulation, contrairement à ce qui se faisait auparavant par ses pairs.
- La composition de la HAC est passée de 11 à 13 Trois d’entre eux doivent être nommés par le chef de l’État, alors que la loi précédente prévoyait que le chef de l’État choisissait un membre. Cinq associations des médias sont désignées et les cinq autres restants sont nommés par le président de l’Assemblée nationale, la Fédération nationale des cinéastes de Guinée (FENACIG), le ministère des postes, des télécommunications et de l’économie numérique, le Conseil supérieur de la magistrature et les imprimeurs.
- La délivrance des agréments pour la création de médias audiovisuels en Guinée ne relève plus de la compétence de la HAC mais du ministère de l’Information et de la Communication.
L’ingérence du pouvoir exécutif est susceptible d’influencer les décisions de cet organe de régulation sur les médias. Les normes internationales exigent qu’il soit indépendant du gouvernement et assure la liberté et la protection de la presse.
« Les autorités ne doivent pas adopter de telles lois controversées pour contrôler les médias et restreindre indirectement le droit d’accès à l’information et violer la participation des citoyens. La HAC doit jouer pleinement son rôle sans être influencée par le président. Elle doit être indépendante, impartiale et autonome dans la mission qui lui est assignée.
« Afin de garantir le respect de cette indépendance, les organes de régulation doivent pouvoir prendre des décisions à l’abri de toute influence politique et fonctionner de manière indépendante. Les autorités doivent s’abstenir d’interférer avec l’autorité indépendante », a rappelé Fatou Jagne Senghore.
La nouvelle loi sur la HAC constitue un véritable pas en arrière pour la liberté d’expression et l’accès à l’information dans le pays et viole les normes internationales en matière de droits de l’homme auxquelles la Guinée s’est engagée.
La Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique stipule que les gouvernements doivent protéger les organismes de réglementation de toute ingérence, notamment de nature politique ou commerciale. La procédure de nomination des membres doit être à la fois ouverte, transparente et permettre la participation et la consultation du public.
Dans une déclaration conjointe, les quatre Rapporteurs Spéciaux sur la liberté d’opinion et d’expression des Nations Unies, l’Organisation des Etats Américains (OEA), la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), le Représentant de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) avec le soutien de ARTICLE 19, ont appelé les Etats à veiller à ce que les organes de régulation des médias soient indépendants, opèrent de manière transparente, rendent des comptes au public, suivent le principe du champ d’application limité de la régulation et assurent une surveillance appropriée des acteurs privés.
Lors de l’Examen Périodique Universel de 2015, la Guinée a accepté la recommandation visant à garantir l’indépendance des médias et la sécurité des journalistes pendant les élections. Mais lors de l’examen de 2020, la Guinée n’a pas montré de progrès dans la mise en œuvre de cette recommandation dans son rapport national. Au lieu de profiter de cette année électorale pour mettre en œuvre ladite recommandation, la Guinée n’a fait qu’accroître l’ingérence politique dans l’Autorité de régulation des médias.
Inquiétudes des médias
Les médias en Guinée sont inquiets de l’impact de la loi ainsi que de la nomination du président et des autres nouveaux membres par le président de la République.
Le Directeur de publication du site d’information Africaguinee, Diallo Boubacar, a fait part de ses préoccupations à ARTICLE 19 :
« L’adoption de cette loi s’est faite dans l’ambiguïté la plus absolue. De plus, les autorités n’ont pas consulté les associations de presse. Dans l’ancienne loi, la HAC délivrait des autorisations pour l’installation d’un média. Ce pouvoir a été retiré et confié au ministre de la communication qui rend compte au pouvoir exécutif. Tout cela constitue une menace pour la liberté d’expression en Guinée. De plus, les journalistes ont récemment fait l’objet d’attaques récurrentes ».
Le président de l’Union des Radios et Télévisions Libres de Guinée (ULTERGUI), Sanou Kerfalla Cissé, s’adressant aux médias, a dénoncé le manque d’implication des professionnels des médias dans le processus de révision de la loi. Il a en outre regretté la décision de limiter à trois au lieu de cinq le nombre de représentants des médias au sein de la Commission.
La nouvelle loi et l’ingérence du Président de la République vont renforcer le climat de méfiance existant entre les médias et l’autorité de régulation. Même sous la loi précédente, où leurs pairs élisaient le président, celui-ci n’était pas totalement indépendant. La HAC a pris certaines décisions controversées, telles que la suspension de programmes critiques ou la suspension d’émissions informant les citoyens sur des questions d’intérêt public. Par exemple, en 2017, la HAC a suspendu Espace FM, pendant sept jours, accusant le média de porter atteinte à la sécurité nationale après avoir diffusé un programme critiquant le soutien psychologique aux forces de sécurité. Cette décision s’inscrit dans un schéma plus large de restrictions de la liberté d’expression et de l’accès à l’information, guidées par des intérêts politiques. La HAC devrait éviter de prendre des mesures qui tentent d’étouffer la liberté d’expression.
La nécessité de la neutralité et de l’impartialité du nouveau président et des nouveaux membres
ARTICLE 19 encourage le nouveau président et les autres membres à faire preuve d’indépendance et d’impartialité. Ils doivent être guidés par les principes internationaux et les bonnes pratiques et promouvoir des médias libres et indépendants, la liberté d’expression et l’accès à l’information.
Les tensions politiques en Guinée ont, par le passé, conduit à des décisions draconiennes et au musellement de la liberté d’expression et de l’accès à l’information. Les médias peuvent donc jouer un rôle de catalyseur s’ils sont réglementés de manière indépendante et s’ils peuvent fonctionner librement.
« L’indépendance et l’impartialité de la HAC, seront un catalyseur. Ils ont l’occasion de réduire les tensions auxquelles la Guinée est confrontée depuis des années. Toute violation affaiblira encore plus le contexte sociopolitique ».
« La HAC, les autres acteurs des médias et les décideurs politiques doivent travailler ensemble pour réformer cette loi régressive et avoir une nouvelle loi conforme aux normes internationales sur la liberté d’expression qui soit la garantie de médias libres. La Guinée s’est engagée au niveau international à respecter les droits de l’homme, y compris le droit de ses citoyens à accéder à une information fiable par le biais de médias indépendants, il faut que cela se concrétise ».
ARTICLE 19 se tient à disposition pour fournir un appui technique afin de réformer la loi en conformité avec les normes internationales et de garantir la liberté des médias.
Pour plus d’informations, veuillez contacter
Eliane NYOBE, Assistante de programme senior, ARTICLE 19 Afrique de l’Ouest : [email protected]
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