ARTICLE 19 condamne fermement la décision du gouvernement de Côte d’Ivoire de proroger l’interdiction de manifester jusqu’au 1er novembre 2020. Cette interdiction signifie qu’aucune manifestation et aucun rassemblement ne peuvent avoir lieu sur la voie publique avant l’élection présidentielle prévue le 31 octobre. L’interdiction de la manifestation par le gouvernement est une restriction arbitraire des droits civils qui risque d’aggraver le climat politique et social déjà tendu.
Fatou Jagne Senghore, Directrice Régionale de ARTICLE 19 Sénégal/Afrique de l’Ouest, a appelé le gouvernement ivoirien à garantir toutes les libertés pour permettre à la population de participer pleinement au processus démocratique :
« Il est tout simplement inimaginable que le gouvernement lance la campagne politique du président Ouattara pour un nouveau mandat lors d’un événement public et qu’il approuve en même temps un décret visant à prolonger l’interdiction de manifester jusqu’après l’élection présidentielle. Ce décret constitue un abus de pouvoir et viole à la fois la constitution de la Côte d’Ivoire et les directives sur la liberté d’association et de réunion en Afrique ainsi que la charte africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance qui reconnaissent respectivement la protestation comme un droit et garantissent aux citoyens la jouissance des libertés fondamentales dans leur universalité lors des élections. Le maintien de cette interdiction ne fera qu’aggraver une situation déjà tendue ».
Il convient que le gouvernement lève cette interdiction sans délai, dans la mesure où elle est illégitime et non justifiable en cette période de campagnes politiques. En outre, le gouvernement devrait autoriser les rassemblements pacifiques et prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que toute manifestation organisée reste pacifique. Les manifestants doivent être protégés par les forces de l’ordre.
Dans un décret ministériel publié le 14 octobre 2020, le gouvernement a annoncé l’extension de la mesure de suspension des manifestations et autres manifestations sur la voie publique, en précisant que les contrevenants seront poursuivis.
Interdire ou limiter le droit de manifester avant une élection pour des raisons dites d’ordre public est une atteinte flagrante à la liberté d’expression et de réunion, en violation de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance.
ARTICLE 19 souligne dans ses principes sur la protection des droits de l’homme dans le contexte des protestations que les États devraient autoriser les manifestations dans tous les espaces publics. Cela inclut les lieux privés mais fonctionnellement publics, ainsi que les zones ouvertes au public et régulièrement utilisées à des fins publiques.
En vertu du droit et des normes internationales en matière de droits de l’homme, aucune restriction aux droits à la liberté d’expression, de réunion, d’association et à la vie privée ne peut être imposée, sauf si elle est prescrite par la loi, poursuit un objectif légitime et est nécessaire et proportionnée à la poursuite d’un objectif légitime et non discriminatoire.
Dans le cas du gouvernement ivoirien, l’interdiction de manifester n’est pas légitime. Le décret n’a pas fourni de motivation raisonnable justifiant l’interdiction. Il n’a pas démontré que l’État n’avait pas les moyens de prévenir les dommages anticipés qui pourraient résulter de l’organisation de manifestations. En outre, il semble être discriminatoire puisque les événements politiques sont autorisés s’ils se déroulent en dehors de la voie publique.
Cette mesure est également contraire à la Constitution et à la législation ivoirienne. En effet, la loi sur les associations de 1960 et la Constitution de 2016 garantissent toutes deux les libertés d’association, de réunion et de manifestation pacifique en Côte d’Ivoire.
En outre, les lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique soulignent que la protestation est un droit.
L’interdiction actuelle de manifester est une prorogation d’une série de restrictions à la liberté de réunion que le gouvernement a introduite avec le décret du 23 mars 2020 proclamant l’état d’urgence, dans le cadre de la réponse à la pandémie de coronavirus. Cette mesure comprenait l’interdiction des grands rassemblements et des manifestations. Le décret sur l’état d’urgence a ensuite été prorogé jusqu’au 15 mai 2020.
« Si l’interdiction faisait partie de la politique du gouvernement visant à restreindre les mouvements en raison de la pandémie du Coronavirus, les autorités auraient dû le dire. Car elles ont maintenant donné l’impression que la prorogation de l’interdiction de manifester est liée à l’élection présidentielle pour éviter toute expression publique discordante contre l’élection controversée et la décision du président de se présenter pour un autre mandat après avoir terminé son second. Le gouvernement aurait pu conseiller aux personnes d’observer les mesures barrières contre le coronavirus comme le port d’un masque facial et le maintien de la distance ».
Répondant au rétrécissement de l’espace civique dans les États d’Afrique de l’Ouest à l’approche des élections, la CEDEAO, l’Union africaine et les Nations unies, à travers un communiqué de presse conjoint, ont récemment encouragé les pays, dont la Côte d’Ivoire, à respecter et à protéger les droits à la liberté d’expression, à la liberté de réunion et à la participation pacifique de tous les citoyens.
Comme documenté par ARTICLE 19, la situation politique en Côte d’Ivoire est particulièrement tendue depuis que le président Ouattara a annoncé qu’il se présentait pour un troisième mandat. Des manifestations ont lieu depuis le mois d’août, demandant au président de reconsidérer sa décision. Malheureusement, les forces de sécurité ont réagi avec une force excessive pour disperser les manifestants, ce qui a fait au moins dix morts en Août. La situation a également entraîné des violences intercommunautaires et des affrontements entre les partisans des partis politiques.
Selon des sources locales et les rapports des médias, le week-end du 16 au 18 octobre, des affrontements entre partisans politiques ont causé la mort de trois personnes : une à Bonoua et deux à Bongouanou. Ils ont également entraîné la destruction de biens et de bâtiments, dont la résidence d’un des leaders de l’opposition. Le maire local a accusé les forces de sécurité d’être responsables du meurtre à Bonoua, mais ARTICLE 19 n’a pas pu le confirmer par des sources indépendantes. Selon les informations de France 24 et comme confirmé par le maire de la ville, dix morts et au moins quarante blessés ont été signalés à Dabou près d’Abidjan le 21 octobre 2020.
ARTICLE 19 déplore que les forces de sécurité n’aient pas réussi à prévenir la violence et à protéger la population contre ces affrontements. L’organisation souligne que l’interdiction des manifestations peut entraîner des rassemblements non autorisés et éventuellement des affrontements violents entre différents partisans politiques. Le gouvernement devrait plutôt encourager les forces de l’ordre à assurer la sécurité de tous les participants pendant les manifestations.
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