ARTICLE 19 exhorte les autorités camerounaises à enquêter sur l’usage excessif de la force lors des manifestations pacifiques qui ont eu lieu à Yaoundé et dans d’autres villes du Cameroun le 22 septembre 2020. Elles doivent libérer immédiatement tous les manifestants qui ont été arrêtés uniquement pour avoir exprimé leur opinion et enquêter sur les attaques contre des journalistes qui ont été maltraités et arrêtés pour avoir collecté des informations sur la manifestation. Les manifestations ont été organisées par le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) pour exiger le départ du Président de la République.
« Il est inacceptable que les forces de l’ordre aient utilisé la force létale contre des manifestants pacifiques, et qu’elles aient arrêté et humilié des personnes uniquement parce qu’elles exerçaient leur droit de manifester. Les autorités doivent enquêter sur ces violations des droits de l’homme et expliquer pourquoi l’un des manifestants est mort et d’autres ont été blessés et maltraités. Les autorités doivent veiller à ce que les présumés responsables soient traduits en justice », a déclaré Fatou Jagne Senghore, Directrice Régionale de ARTICLE 19 Afrique de l’Ouest.
“Au moins une personne aurait été tuée par balle, dix ont été blessées, 60 arrêtées, dont cinq professionnels des médias. Certains d’entre eux ont été victimes de traitements dégradants”.
Le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) a appelé à une série de manifestations pacifiques dans tout le pays pour exiger le départ du président de la République. Le 21 septembre 2020, le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement René Emmanuel Sadi a annoncé, lors d’une conférence de presse, l’interdiction de la manifestation, la décrivant comme « Des appels à l’insurrection populaire et au renversement des institutions par les dirigeants d’un parti politique », cette décision porte atteinte au droit à la liberté d’expression et à la manifestation pacifique.
Le 22 septembre, des militants répondant à l’appel du MRC, ont pris d’assaut les rues de différentes villes du Cameroun pour protester pacifiquement. Mais les forces de sécurité ont utilisé les gaz lacrymogènes et les canons à eau pour disperser les manifestants. Selon les rapports des médias, une personne aurait été tuée, dix ont été blessées et 60 arrêtées, dont 5 professionnels des médias.
Certains des manifestants ont été maltraités, et les forces de sécurité auraient ordonné aux personnes arrêtées de s’asseoir par terre et les auraient forcées à chanter un chant à la gloire du président de la République. Personne ne doit perdre la vie, ni craindre la torture ou les mauvais traitements pour avoir exercé son droit de manifester. ARTICLE 19 a visionné trois vidéos des manifestations et tous les manifestants semblaient agir pacifiquement. La police aurait dû faciliter cette manifestation pacifique au lieu d’utiliser la force pour disperser les manifestants. Lorsqu’elle assiste à une manifestation, la police doit être guidée par la présomption de pacifisme, plutôt que de supposer qu’il y aura des violences et de recourir à la force.
« Cinq professionnels médias ont été arrêtés. Bien que Rodrigue Ngassi se soit identifié aux forces de sécurité comme étant le cameraman des médias, ils l’ont arrêté et lui ont tordu le bras ».
ARTICLE 19 exhorte les autorités à assurer la protection et la sécurité des journalistes, à tolérer les reportages des médias sur les opinions dissidentes, en particulier pendant les manifestations et à libérer sans condition toutes les personnes arrêtées uniquement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression et d’association.
La police a arrêté cinq professionnels des médias: Tah Jarvis, Tebong Christian, Lindovi Njio, Rodrigue Ngassi et Polycarpe Essomba. La chaîne Equinoxe TV dans leur journal télévisé a condamné la manière dont les forces de sécurité ont traité Rodrigue Ngassi. Il s’est identifié comme un cameraman auprès des forces de sécurité, mais celles-ci l’ont arrêté, lui ont tordu le bras et lui ont mis un pied sur la nuque. Rodrigue Ngassi a ensuite été libéré mais il a demandé à la police camerounaise de respecter le travail des journalistes.
Polycarpe Essomba, un reporter de Radio France Internationale, a été passé à tabac alors qu’il couvrait la manifestation. La police l’a frappé avec une matraque et l’a emmené dans un commissariat de police, où il a été libéré au bout de deux heures. Lindovi Ndjio, journaliste de « Nouvelle Expression », Tah Jarvis et Tebong Christian respectivement journalistes et caméraman à « My media prime » ont finalement été libérés dans la soirée du 23 septembre 2020, au deuxième jour de leur arrestation.
« L’arrestation des journalistes, qui ne faisaient que leur travail est une violation de la liberté des médias. Le rôle des médias est de rapporter et d’informer le public sur tout ce qui les concerne. Les autorités ne devraient pas intimider les journalistes et restreindre le droit d’accès à l’information ».
« Le journalisme n’est pas un crime. Il ne suffit pas de libérer certains des journalistes arrêtés. Les autorités doivent les libérer tous sans condition, et toutes les accusations doivent être abandonnées. Le Cameroun doit mettre fin à l’impunité pour les attaques contre les journalistes et la répression brutale des manifestants « , a demandé Fatou Jagne Senghore.
Il est très risqué de travailler comme journaliste au Cameroun où la protection des médias continue de se détériorer. Suite aux attaques contre la presse, ARTICLE 19 a interviewé le data journaliste Paul Joël Kamtchang, Secrétaire Exécutif de ADISI Cameroun, qui a déclaré :
« La situation en matière de protection des journalistes dans l’exercice de leur profession est déplorable au Cameroun. Malgré leur position sociale, les autorités qui se croient au-dessus des lois, pensent seulement à bâillonner des journalistes en situation de travail ».
Nous invitons le rapporteur spécial de la Commission africaine sur la liberté d’expression et l’accès à l’information d’exhorter le gouvernement du Cameroun à respecter ses obligations au titre de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et à garantir la liberté des médias.
Nous demandons au rapporteur spécial de la Commission africaine de surveiller la situation et d’exhorter le gouvernement à enquêter sur ces violations et à s’assurer que le Cameroun ne continuera pas à empêcher, entraver ou restreindre indûment le droit de manifester ».
Le droit de manifester permet aux citoyens de participer activement à la vie sociopolitique de leur pays. La loi camerounaise de 1996 sur la révision de la Constitution garantit les libertés, d’expression, de réunion et d’association, la liberté de la presse et le droit de manifester.
De plus, la Constitution interdit l’usage de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants.
ARTICLE 19 a souligné dans ses principes du droit de manifester que les États ne devraient pas empêcher, entraver ou restreindre le droit de manifester, sauf dans les conditions autorisées en vertu du droit international des droits humains.
En interdisant et en utilisant la force excessive pour disperser une manifestation pacifique, le Cameroun a violé ses obligations internationales. Par exemple l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et l’Article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples garantissent que chacun doit pouvoir exprimer ses opinions sans être inquiété. Les lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique soulignent que la protestation est un droit pour lequel les organisateurs n’ont pas besoin d’autorisation préalable.
En faisant un usage excessif de la force, les autorités n’ont pas assuré la sécurité du public et n’ont pas protégé les droits de l’homme de toutes les personnes pendant la manifestation, comme le stipule les lignes directrices de la Commission africaine sur le contrôle des rassemblements par les forces de l’ordre en Afrique. En outre, l’usage excessif de la force n’est pas conforme aux exigences des principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu, au code de conduite des Nations unies pour les responsables de l’application des lois et aux lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique.
Au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, lors du dernier Examen Périodique Universel en 2018, le Cameroun a reçu des recommandations visant à garantir que toute restriction de la liberté de réunion et de manifestation soit conforme aux obligations internationales. Malheureusement, le pays n’a fait que les noter, et dans la pratique, le Cameroun continue de restreindre la liberté de manifester. Par exemple, en janvier 2019, lorsque les autorités ont interdit les « marches blanches » suite à l’annonce des résultats de l’élection présidentielle qui ont été contestés par le MRC, les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force pour disperser les manifestants avec des gaz lacrymogènes et des balles et ont arrêté plusieurs manifestants, dont l’éminent chef de l’opposition Maurice Kamto.
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