ARTICLE 19 s’inquiète du fait que le Cambodge ne réponde pas des violations des droits humains devant la communauté internationale. Cette semaine à Genève, le gouvernement cambodgien n’a pas tenu compte du système de surveillance des droits humains mis en place par les Nations unies, tout en continuant de mener une répression violente des manifestations pacifiques et du droit à la liberté d’expression.
ARTICLE 19 craint également que les pays voisins privilégient la solidarité régionale au lieu de réellement protéger les droits humains. Les membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) ont salué l’« amélioration » de la situation des libertés fondamentales au Cambodge, au lieu de se pencher sur les graves lacunes en la matière et prôner une meilleure protection de ces libertés dans la région.
« Les autorités cambodgiennes se sont moquées du processus d’examen des droits humains des Nations unies, en faisant clairement comprendre qu’elles ne se souciaient absolument pas de la communauté internationale, et encore moins de leur propre peuple, a déclaré Thomas Hughes, directeur exécutif d’ARTICLE 19. La culture de l’impunité qui caractérise depuis longtemps le pouvoir au Cambodge a été mise en évidence ces derniers jours, lorsque la délégation cambodgienne s’est présentée sans gêne devant les Nations unies à Genève, tandis que nous parvenaient des images de bains de sang, de gens en pleurs et de violences commises par les autorités envers leur propre peuple. »
Mardi dernier, une délégation cambodgienne a assisté à l’Examen périodique universel (UPR) du Cambodge. Ce processus permet d’évaluer par roulement la situation des droits humains de tous les États membres des Nations unies devant le Conseil des droits de l’Homme. Néanmoins, quelques jours auparavant, les forces gouvernementales cambodgiennes ont réagi violemment à une manifestation pacifique organisée à Phnom Penh par des travailleurs du textile réclamant un meilleur salaire. Le gouvernement cambodgien a fréquemment eu recours à une force excessive pour réprimer les mouvements de protestation pacifiques au cours de l’année passée, y compris lors des élections controversées, dont le résultat est encore largement contesté.
Habituellement, les États membres des Nations unies envoient leur secrétaire aux Affaires étrangères ou des ministres occupant des postes importants en signe de respect pour ce mécanisme mondial relatif aux libertés fondamentales, mais le Cambodge a envoyé le vice-président de sa Commission nationale des droits humains. ARTICLE 19 estime qu’il s’agit d’une marque de mépris envers ce processus d’évaluation.
L’organisation était à Genève cette semaine, accompagnée de Mme Tep Vanny, pour prier les États membres des Nations unies d’appeler le Cambodge à respecter la liberté de parole et d’autres droits fondamentaux. Mme Vanny a été appréhendée trois jours avant de se rendre en Suisse, alors qu’elle remettait une pétition à l’ambassade des États-Unis au Cambodge, réclamant la libération de 23 personnes maintenues en détention depuis leur arrestation, le 2 janvier 2014, lors de la manifestation des travailleurs du textile. Elle a heureusement été relâchée le même jour et a pu prendre l’avion pour observer cet examen.
« Il m’a semblé clair que les autorités cambodgiennes ne se préoccupaient pas du processus de l’UPR car elles ont menti sur la situation réelle dans le pays. Je suis dégoûtée de leurs discours, qui ne font aucune mention de la vérité et de la reddition de comptes. Elles ont accusé ma communauté, victime d’expulsion forcée, d’avoir inventé des problèmes à des fins personnelles. J’ai été choquée d’entendre ces accusations portées sur la scène internationale. Les autorités nous ont constamment menti, elles nous ont arrêtés et battus, mais c’est encore plus douloureux de les voir raconter les mêmes mensonges devant l’ensemble de la communauté internationale. J’ai voulu me lever et crier la vérité, mais au lieu de ça, j’ai dû endurer ce moment en silence, a déclaré Mme Tep.
« J’ai vu l’air satisfait des représentants cambodgiens après avoir menti de façon aussi éhontée, et j’ai ressenti une immense douleur et une profonde tristesse. Maintenant que j’ai vu leurs visages souriants, je crains vraiment qu’à leur retour au Cambodge, ils nous traitent encore plus mal qu’avant. Quand j’ai entendu les autres pays évoquer nos souffrances, nos peurs et nos besoins, ça m’a encouragée. Mais ce sentiment a disparu dès que j’ai entendu mon propre pays prendre la parole. »
Avant l’UPR, ARTICLE 19 et d’autres membres d’une coalition – comprenant également PEN International, le Centre cambodgien pour les droits humains et Mme Tep – ont rencontré les représentants des missions permanentes des États-Unis, de la Suisse, de la République tchèque et de l’Indonésie. Les trois premiers ont adressé des recommandations explicites au Cambodge concernant la liberté de parole et de réunion. Cependant, l’Indonésie, de même que d’autres États membres de l’ANASE qui sont intervenus pendant l’UPR, a gardé le silence à propos de la répression de la liberté de parole menée par le gouvernement cambodgien, et a préféré présenté un compte-rendu élogieux de ses propres efforts en matière de droits humains.
Deux heures avant le début de l’examen du Cambodge, la coalition de défense des libertés fondamentales a assisté à un événement en marge, auquel participait Sam Rainsy, dirigeant du Parti national de sauvetage du Cambodge. À cette occasion, ARTICLE 19 a évoqué la situation de la liberté de parole au Cambodge depuis 2009, date du dernier UPR auquel s’est soumis ce pays, en faisant remarquer qu’elle avait fortement empiré en 2012, lorsque les défenseurs des droits humains, les militants et les journalistes ont commencé à recevoir des menaces. La coalition a présenté des recommandations pour la liberté de parole, indiquées dans le contre-rapport soumis l’année dernière au Haut-Commissariat aux droits de l’Homme. Lors de cet événement en marge, Mme Tep a parlé de la communauté du lac Boeung Kak, à laquelle elle appartient, qui a été expulsée de force il y a près de sept ans et qui continue de voir ses droits bafoués par les autorités. Yorm Bopha, qui milite lui aussi pour le droit au logement et qui a été détenu pendant 14 mois pour des charges motivées par des raisons politiques, a montré une vidéo illustrant les propos de sa collègue.
Le gouvernement cambodgien ne peut pas faire comme lors de son dernier UPR, c’est-à-dire accepter presque toutes les recommandations mais n’en mettre aucune en œuvre.
Comme l’a très justement dit Mme Tep : « Si je pouvais m’adresser aux membres de la délégation cambodgienne, je leur dirais « Arrêtez de mentir ! Agissez ! » »
Notes aux rédacteurs
- Pour consulter le contre-rapport présenté au Haut-Commissariat aux droits de l’Homme, rendez-vous sur
http://www.article19.org/resources.php/resource/37121/en/cambodia.
- Si vous souhaitez obtenir un entretien avec ARTICLE 19, contactez Ayden Peach, Service de presse d’ARTICLE 19, à [email protected] ou au + 44 (207) 324 2500. Pour plus d’informations sur le travail d’ARTICLE 19 au Cambodge, contactez Judy Taing, chargée du programme Asie d’ARTICLE 19, à [email protected] ou au + 1 (646) 725 1444.