ARTICLE 19 craint que le gouvernement burundais devienne de plus en plus hostile envers les médias, la société civile et les partis politiques de l’opposition, tandis qu’il cherche à modifier la Constitution par le biais d’un référendum, ce qui permettrait à l’actuel président de se présenter pour un troisième mandat dans un climat d’extrême controverse politique.
Nous appelons le gouvernement burundais à respecter le droit à la liberté d’expression et la liberté de la presse, faute de quoi il risquerait dangereusement de porter atteinte à sa propre légitimité démocratique.
« Les journalistes jouent un rôle essentiel dans une société démocratique, en garantissant que la population soit informée, en facilitant les débats et en promouvant la reddition de comptes. Les attaques et la discrimination infligées de façon permanente aux défenseurs des droits humains et aux professionnels des médias, dans le but de les dissuader de rapporter certains événements ou de les amener à modifier leur version des faits, enfreignent les garanties constitutionnelles relatives à la liberté d’expression et aux normes internationales en matière de droits humains. Lorsque l’indépendance de la presse est compromise, la démocratie en souffre, ce qui est particulièrement problématique à l’approche des élections, a déclaré Henry Maina, directeur de la région Afrique de l’Est chez ARTICLE 19.
« Nous craignons toujours que le cadre juridique au Burundi ne fournisse pas les garanties adéquates pour la liberté des médias. La Loi sur les médias adoptée l’année dernière accorde aux autorités des pouvoirs qui peuvent servir à restreindre, voire ériger en infraction, l’évocation de sujets d’intérêt public », a ajouté Henry Maina.
L’élection de juillet 2015 sera la troisième à être organisée au Burundi depuis la signature de l’Accord de paix et de réconciliation (Accord d’Arusha) en 2000, qui a mis fin à une guerre civile qui ravageait le pays depuis sept ans. Aux termes de cet accord, Pierre Nkurunziza a été élu président une première fois en 2005 et une deuxième fois en 2010. Le pays fait maintenant face à une crise politique car la légalité d’un troisième mandat présidentiel est contestée.
Restrictions de la liberté de réunion pacifique et atteintes à l’indépendance des médias
Récemment, Saidi Juma, maire de Bujumbura, a interdit une manifestation pacifique planifiée par des organisations de la société civile en l’honneur d’Ernest Manirumva – militant anticorruption tué le 9 avril 2009 – et pour réclamer justice pour cet homme. Cinq ans se sont écoulés mais personne n’a été amené à rendre des comptes pour ce meurtre.
Le samedi 15 mars 2014, Ildephonse Habarurema, secrétaire permanent du Conseil de sécurité nationale (CNS), a publié une déclaration dans laquelle il félicitait certains médias pour leur « travail d’information de la population » mais condamnait d’autres pour avoir diffusé des « messages subversifs ». Le CNS, composé du président et des ministres occupant les postes les plus importants, est le principal organe de sécurité du pays. Ildephonse Habarurema s’est montré particulièrement critique envers la Radio publique africaine pour avoir évoqué une descente de police dans les locaux du Mouvement pour la solidarité et la démocratie, un parti de l’opposition. Les journalistes travaillant pour Radio Isanganiro ont subi cinq attaques au cours de ces derniers 18 mois.
ARTICLE 19 craint que les propos d’Ildephonse Habarurema n’assimilent les récriminations des journalistes envers les autorités à un appel au renversement du gouvernement. Les critiques adressées publiquement à la Radio publique africaine s’inscrivent dans un contexte de harcèlement permanent subi par les journalistes et les médias qui couvrent les événements politiques concernant des partis de l’opposition ou qui donnent la parole à des membres de la société civile appelant les autorités à rendre des comptes.
La déclaration du CNS a été publiée seulement une semaine après qu’un porte-parole du gouvernement a adressé une menace à peine voilée aux médias, en leur disant de « garder en tête que l’intérêt de la nation [passait] avant celui des partisans », notamment en cette période préélectorale. ARTICLE 19 rappelle que des élections libres et justes ne peuvent avoir lieu que lorsque l’électorat est correctement informé en ayant accès à suffisamment de renseignements provenant de différentes sources, et pas seulement aux comptes-rendus positifs des activités du gouvernement en place. La liberté des médias de rapporter différents points de vue, y compris ceux des détracteurs des autorités, est donc primordiale et doit être respectée par le gouvernement.
L’indépendance des médias a été attaquée une nouvelle fois le 6 mars 2014, lorsque le président Pierre Nkurunziza a émis un décret désignant des nouveaux membres du Conseil national de la Communication, l’agence nationale chargée de surveiller l’application des lois sur les médias. ARTICLE 19 est très préoccupée par ces nominations, dont six concernent des représentants du gouvernement, ce qui pourrait sérieusement compromettre l’indépendance de cet organe de réglementation, dont les neuf autres membres sont des journalistes venus, pour la plupart, des médias publics. Richard Giramahoro, président du Conseil national de la Communication, a déclaré publiquement que cet organe n’avait pas « pour mission de réprimer, mais de collaborer avec les médias ». Cet homme est connu pour les liens étroits qu’il entretient avec le parti au pouvoir, Pour la Défense de la Démocratie – Forces pour la Défense de la Démocratie (CNDD-FDD).
En juin 2013, le gouvernement burundais s’est engagé, au travers du mécanisme d’Examen périodique universel des Nations unies, à Genève, à améliorer les garanties en matière de droits humains. Le Burundi a reçu 25 recommandations portant sur la liberté d’expression, d’association et de réunion. Les inquiétudes exprimées lors de cet examen concernaient notamment les agressions, le harcèlement et les actes d’intimidation visant des journalistes, des défenseurs des droits humains et des membres de partis de l’opposition. ARTICLE 19 constate que malgré l’engagement pris sur la scène internationale, ces problèmes n’ont toujours pas été réglés.
L’organisation appelle le gouvernement burundais à cesser de chercher à intimider les journalistes et autres professionnels des médias, et les membres d’organisations de la société civile, et à protéger l’indépendance et le pluralisme des médias. Pour ce faire, les autorités doivent diligenter sans délai des enquêtes indépendantes et efficaces sur tous les épisodes de violence, d’intimidation ou de harcèlement à l’encontre des professionnels des médias, traduire les responsables présumés en justice et offrir des réparations aux victimes. Le gouvernement doit publier une déclaration sans équivoque pour rassurer les médias et leur expliquer qu’ils ne seront pas pénalisés s’ils rapportent des propos critiques envers lui, le parti pouvoir ou ses politiques.
Inquétudes quant au cadre juridique des médias
ARTICLE 19 continue de craindre que la Loi sur les médias, adoptée en juin 2013, ne menace sérieusement la liberté de la presse dans ce pays. Les dispositions de ce texte sont extrêmement vagues et accordent des pouvoirs considérables aux autorités. L’évocation de sujets d’intérêt public pourrait être érigée en infraction et la protection des sources journalistiques compromise. Cette loi oblige également les journalistes à avoir un certain niveau d’éducation et d’expérience professionnelle, ce qui limite inutilement l’accès à la profession, et prévoit des amendes dommageables pour les médias considérés comme enfreignant la loi.
Plus tôt cette année, le tribunal constitutionnel a rejeté les arguments du Syndicat des journalistes burundais, qui avançait que la Loi sur les médias était inconstitutionnelle et ne respectait par le droit international relatif aux droits humains, mais il a abaissé le montant des amendes pour les violations prévues par cette loi. Si cette décision est saluée, elle ne va pas assez loin pour protéger la liberté des médias au Burundi. Le Syndicat des journalistes burundais a également saisi la Cour de justice d’Afrique de l’Est pour contester ce texte, en affirmant qu’il est contraire au Traité pour l’établissement de la Communauté d’Afrique de l’Est.
ARTICLE 19 prie instamment le gouvernement burundais à réviser la Loi sur les médias et à entreprendre de sérieuses réformes afin d’aligner la législation du pays sur les normes internationales relatives aux droits humains, et plus particulièrement au droit à la liberté d’expression.