Burkina Faso: Une transition sapée, une semaine d’attaques contre les médias et les manifestants

Burkina Faso: Une transition sapée, une semaine d’attaques contre les médias et les manifestants - Protection

A man takes shelter from an approaching sand storm under a tree, one of the few left in this desertified landscape.

ARTICLE 19 condamne les agressions perpétrées contre les journalistes et l’usage excessif de la force contre les manifestants à la suite du coup d’Etat qui a interrompu la transition politique au Burkina Faso.

Depuis le 16 septembre 2015, le Burkina Faso vit sous la tension du coup d’Etat. Le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP), auteur de ce coup de force a interrompu la transition à quelques semaines des élections présidentielles pour porter à la présidence le Général Gilbert Diendéré et dissoudre dans le même temps toutes les institutions. Le Président Michel Kafando, le Premier Ministre Yacouba Isaac Zida ainsi que des  membres du gouvernement de la Transition ont été arrêtés puis libérés respectivement le 18 et le 22  septembre.

Un Conseil National pour la Démocratie (CND), contesté dès les premières heures par les populations a été mis en place. Les institutions internationales et régionales ainsi que le Conseil National de Transition (CNT) ont tous dénoncé ce coup d’Etat et exigé la libération des otages et la tenue des élections libres et démocratiques.

Depuis la prise de pouvoir par le RSP, ARTICLE 19 a documenté une série d’attaques, d’agressions et de violences envers des organes de presse, des journalistes en exercice et des manifestants. Une dizaine d’incidents, allant des agressions physiques aux destructions de matériel en passant par des interdictions aux médias audiovisuels d’émettre ont été documentés.  Par ailleurs, plus d’une dizaine de personnes ont été tuées et une centaine d’autres blessées.

Le 16 septembre, la radio Oméga FM , une des radios les plus écoutées à Ouagadougou a été prise pour cible dès les premières heures du coup d’état par des éléments du RSP qui s’y sont rendus et qui ont intimé l’ordre au rédacteur en chef, Albert Nagréongo de cesser la diffusion en direct s’il ne voulait pas voir la radio brûlée; avant de quitter les lieux, ils ont tiré en l’air et mis en feu une moto dont les flammes se sont ensuite propagées sur plusieurs autres motos appartenant aux journalistes.  Ils ont prévenu que si la diffusion ne cessait pas, «ce sera pire». Suite à cet incident, la radio a cessé d’émettre pendant de longues heures avant de reprendre à diffuser uniquement de la musique.

Le même jour, le signal de Radio France Internationale (RFI), avait été coupé à Ouagadougou, avant d’être rétabli  le 17 septembre. Par ailleurs, des professionnels de médias et journalistes en reportage ont été agressés physiquement et brutalisés par des éléments du RSP. Parmi eux figure M. Oui Koita, journaliste de Burkina 24 qui a confirmé à ARTICLE 19 que le 16 Septembre, il était en reportage et s’apprêtait à photographier des barricades dressées contre les militaires du RSP, quand deux d’entre eux, en tenue, ont « foncé sur lui » et l’ont roué de coups devant le portail de la télévision BF1, bien qu’il ait précisé être un journaliste.

Aussi deux caméras de l’équipe de tournage du Ciné Droit Libre ont été confisquées par des militaires en tenue du RSP ainsi que la voiture de Gideon Vink, un des responsables de cette équipe.

D’après plusieurs témoignages recueillis par ARTICLE 19, presque aucune radio et télévision privée ne diffuse son programme par mesure de sécurité pour éviter les agressions; seule la télévision nationale continue de diffuser d’anciens programmes. BF1, une des télévisions privées avait repris ses programmes le 19 Septembre avant de s’arrêter encore le même jour.

Entre le 17 et le 18, deux journalistes du  quotidien  Sidwaya, Christian Somé et Jean Jacques Conombo ont été tabassés par des éléments du RSP.

Le 19 Septembre, les locaux des radios Savane FM (Ouagadougou) ont été incendiés et l’émetteur confisqué par les militaires. La radio  Laafi à Zorgho (située à une centaine de Km à l’est de Ouagadougou) a été également saccagée et incendiée.

Dans ce contexte de bâillonnement presque totale des organes de presse, la radio « résistance » a été créée le 17 septembre, dans la clandestinité mais le signal a été coupé le 20 septembre; cependant depuis cette date, elle a recommencé à émettre mais uniquement sur internet.

Des journalistes continuent de subir des pressions et certains reçoivent même des menaces tendant à leur faire peur.

Au delà des agressions violentes contre les médias et les journalistes, le RSP a tenté de museler les expressions populaires opposées à son coup de force. Dès les premiers instants du coup d’Etat, des milliers de manifestants ont tenté de se réunir pour protester, mais les militaires ont dispersé systématiquement les foules par des tirs de sommation et les artères principales comme la Place de la Révolution, ont été quadrillées.

A ce jour, plus d’une dizaine de personnes ont été tuées et des centaines de blessés dénombrés. Selon nos sources, le 18 Septembre, un jeune homme, ayant vu les soldats, est descendu de sa moto pour se cacher dans Central Hôtel, mais il a été rejoint et abattu dans le hall de l’hôtel.

Face à cette situation de crise et d’insécurité, les médiateurs de la CEDEAO ont rédigé un “projet d’accord politique de sortie de crise” qui propose de restaurer le Président Kafando, de cesser les violences, de libérer tous les détenus suite au coup d’Etat et de tenir les élections le 22 Novembre 2015. Cependant, l’accord prévoit aussi “l’acceptation du pardon” et une loi d’amnistie au plus tard le 30 Septembre pour les auteurs du coup d’Etat et l’inclusion aux prochaines élections des candidats déclarés inéligibles par le Conseil Constitutionnel. Cet accord n’a pas été accepté pour une bonne partie de la population et de la société civile qui dénoncent l’impunité face aux agressions et violences orchestrées par le RSP. ARTICLE 19 est préoccupée par la sécurité des journalistes et des populations et condamne les attaques systématiques contre les journalistes et les organes de presse et l’usage excessif de la force, contre des populations qui expriment leurs opinions.

Les violences et attaques contre les journalistes minent le droit du public à l’information et  constituent une violation grave des articles 19 du PIDCP et 9 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Par ailleurs, la Déclaration de Principes sur la Liberté d’Expression en Afrique ainsi que la Résolution (ACHPR/Rés.178(XLIX) 2011 de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples sur la sécurité des journalistes et des professionnels des médias en Afrique prohibent de tels actes et demandent aux Etats de poursuivre les auteurs.

Le droit de réunion et de manifester pacifiquement est garanti par l’article 21 du PIDCP. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que de restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. Ce droit est également garanti par l’article 11 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.

ARTICLE 19 rappelle également la disposition 9 des Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu qui exige que les responsables de l’application des lois ne doivent pas faire usage d’armes à feu contre des personnes, sauf en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave. En vertu de ces principes, les moyens non violents doivent âtre privilégiés autant que possible,

ARTICLE 19 demande l’arrêt des attaques et violences contre les journalistes et les populations qui manifestent ainsi que la protection des organes de presse et de la liberté d’expression.

ARTICLE 19 rappelle que les auteurs des crimes et violences contre les journalistes et les citoyens doivent être poursuivis.


 

Note aux rédacteurs

Pour de plus amples informations, veuillez contacter Fatou Jagne Senghor, Directrice, ARTICLE 19 Afrique de l’Ouest [email protected] ou [email protected]

Tel: ++221338690322.

Pour plus d’informations sur le travail de l’article 19, visitez notre site Web. www.article19.org

ARTICLE 19 est une organisation internationale indépendante de droits humains qui œuvre à travers le monde pour la promotion, la protection et la défense de la liberté d’expression. Elle tire son nom de l’Article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 qui garantit la liberté d’expression.