ARTICLE 19 se félicite de la récente libération d’un certain nombre de manifestants et d’autres personnes emprisonnées en Algérie pour leur engagement dans le mouvement du Hirak populaire. Elle appelle, cependant, les autorités algériennes à porter leur attention sur la libération de tous les journalistes détenus suite à la répression continue contre la liberté d’expression, à abandonner les charges contre eux et à mettre fin au harcèlement dont ils font l’objet.
« Nous exhortons les autorités algériennes à libérer immédiatement et sans condition aucune tous les journalistes arrêtés ou détenus arbitrairement. La liberté d’expression ne peut prospérer sans garanties de protection pour les journalistes algériens. Nul ne peut nier le rôle fondamental que ces derniers ont joué, depuis l’indépendance de l’Algérie arrivant au Hirak populaire, dans la couverture de l’expérience algérienne. Rappelons le nombre de journalistes assassinés durant la décennie noire pour avoir révélé la vérité. Rappelons leur rôle dans le rétablissement de la paix en Algérie après une période sanglante. Les médias restent la pierre angulaire de toute démocratie et un lien impartial et nécessaire entre les institutions de l’Etat et le peuple Algérien. » affirme Saloua Ghazouani, directrice d’ARTICLE 19 MENA.
Malgré l’adoption d’une nouvelle Constitution algérienne le 1er novembre 2020 et un récent discours du Président Abdelmajid Tebboune annonçant une grâce présidentielle pour 60 détenus et davantage de garanties pour la liberté d’expression et les médias, de nombreux journalistes en Algérie sont toujours emprisonnés pour leur travail, ou font l’objet d’accusations.
Il s’agit notamment de :
- Khaled Drareni, correspondant en Algérie de Reporters sans frontières (RSF) et de TV5 Monde et fondateur du site Casbah Tribune. Il a été emprisonné depuis le 29 mars 2020 et condamné à deux ans de prison pour « incitation à un attroupement non armé et « atteinte à l’unité nationale ». Actuellement, il est en liberté provisoire[1] jusqu’à la date de son procès devant la Haute Cour algérienne le 25 mars 2021.
- Said Boudour et Noureddine Tounsi[2] , deux journalistes originaires d’Oran à l’est du pays, arrêtés depuis le 21 septembre 2020 et poursuivis pour trois chefs d’inculpation à savoir « outrage à corps constitué » sur la base des articles 144 et 146 du code pénal, » diffamation » articles 296 et 298, et » chantage » par disposition de l’article 371 du même code. Lors de leur procès qui s’est déroulé, le 11 mars 2021, au tribunal d’Oran, Tounsi a été acquitté des trois chefs d’accusation mais demeure en prison pour une autre affaire d’ « espionnage » pour sa relation avec la PPLAAF (Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique), qualifiée par le tribunal de « partie étrangère ». Boudour a été condamné à une peine de deux mois de prison avec sursis, et il a été conditionnellement libéré le jour même.
- Hassan Bouras, un journaliste ayant travaillé sur des affaires de corruption et de recours à des pratiques de torture en Algérie depuis les années 1990. Il a été souvent menacé et arrêté sous l’ancien régime de Bouteflika. Il a reçu une convocation devant le tribunal criminel d’Al-Bayadh pour un procès le 21 mars 2021 avec trois chefs d’accusation : »outrage au Président de la République », »outrage à corps constitué » et »incitation des citoyens à prendre les armes contre l’Etat et contre certains d’entre eux » en référence aux articles 144 et 146 du code pénal algérien.
- Abdelhakim Setouane, son procès s’est déroulé aujourd’hui, le 15 mars 2021, après plusieurs reports. Il est poursuivi pour quatre chefs d’inculpation dont « diffamation », « chantage », « atteinte à la vie privée » et « diffusion de fausses informations ». Le procureur de la République a requis 18 mois de prison ferme, le jugement final sera attendu pour le 29 mars 2021.
Les médias en ligne subissent également une vague constante de harcèlement. Plusieurs ont été censurés, comme Interlignes, Radio-M, Maghreb émergent, Twala, Tariq News et Ultra Sawt, et/ou continuent à l’être comme Casbah Tribune. Ces attaques, contre les médias en ligne, ont été condamnées par Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne des droits de l’Homme, et Rupert Colville, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme.
De surcroit, le nouvel arsenal législatif algérien vise à limiter la liberté de la presse en ligne et off-line, à l’instar des nouveaux amendements du code pénal condamnant les soi-disant « fake news ». La nouvelle loi sur les médias en ligne crée une restriction démesurée sur la presse en ligne renforçant ainsi le contrôle de l’État sur la liberté d’expression en ligne en obligeant les sites à l’ hébergement en Algérie, ce qui pourrait conduire à la violation de certains principes tels que la protection des sources journalistiques[3].
Saloua Ghazouani a ajouté : « Nous demandons aux autorités algériennes d’abroger les dispositions législatives et les politiques appréhendées afin de poursuivre pénalement les journalistes. Nous les exhortons à assurer la protection de chaque journaliste conformément aux traités internationaux qu’elles ont ratifiés sur la protection de la liberté journalistique et des journalistes, ainsi qu’à leur engagement à établir une nouvelle Algérie fondée sur le respect des droits de l’Homme et la garantie de la paix sociale. »
[1] https://www.lepoint.fr/monde/algerie-le-journaliste-khaled-drareni-libere-de-prison-19-02-2021-2414734_24.php
[2] https://www.article19.org/resources/algeria-release-whistleblower-and-journalist-noureddine-tounsi/
[3] https://www.france24.com/en/live-news/20201218-algerian-state-tightens-screws-on-online-media