ARTICLE 19 exhorte le ministère algérien de l’intérieur, des collectivités locales et de l’aménagement du territoire à abandonner les mesures entreprises récemment contre les manifestations pacifiques en Algérie. Dans un environnement déjà hostile au droit de manifester et à la liberté d’expression, les nouvelles exigences de déclaration préalable des manifestations présentent une mesure inquiétante de la part des autorités pour faire taire davantage les critiques.
Le 09 Mai 2021, le ministère de l’intérieur a publié un communiqué officiel dans lequel il affirme que ‘’les organisateurs des marches sont tenus à la déclaration, auprès des services compétents, des noms des responsables de l’organisation de la marche et des heures de son début et de sa fin’’, affirmant que le non-respect de ces procédures « dénue la marche de tout caractère légal[1]’’.
Dans une période où les autorités répriment les manifestants et les journalistes en procédant à des dizaines d’arrestations, ces mesures demeurent une grave restriction au droit de manifester. Le Comité national pour la libération des détenus (CNLD) a recensé au moins 350 arrestations de manifestants, journalistes et militants depuis février 2021. Ils sont arrêtés pour avoir simplement participé pacifiquement au Hirak. Certains d’entre eux ont passé plus d’une semaine en prison avant d’être relâchés et la plupart demeure en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire[2]. Le 14 mai, les autorités ont également arrêté au moins 15 journalistes qui couvraient les manifestations dans le centre-ville d’Alger, mais tous ont été libérés plus tard dans la journée[3].
‘’Les derniers efforts déployés par le gouvernement algérien pour restreindre l’espace de protestation et de dissidence apparaissent comme une réponse directe aux récentes manifestations critiquant le gouvernement lui-même, ainsi qu’un outil supplémentaire que le gouvernement utilise pour réduire au silence le mouvement du Hirak. Le recours à la déclaration préalable pour réprimer le droit de protester constitue une flagrante violation des standards en matière de droits humains, et le ministère doit retirer cette exigence immédiatement », a déclaré Saloua Ghazouani, directrice d’ARTICLE 19 MENA.
Les États ne devraient recourir à la déclaration préalable des manifestations que lorsque cela est indispensable à leurs planification et facilitation et non pas pour des manifestations spontanées, à l’instar des marches des étudiants en Algérie. Ces dernières doivent être exemptées de cette règle. La déclaration préalable des détails tels que les » slogans » à utiliser lors des manifestations présente une violation des libertés d’expression et de manifestation. Ces dernières exigent que toute restriction doit être justifiée et nécessaire afin d’atteindre un objectif légitime – le cas échéant une déclaration préalable n’est qu’un outil permettant aux autorités de réprimer des types spécifiques de manifestation.
Les objectifs du mouvement du Hirak sont la garantie des droits et libertés dans leur intégralité. Et le gouvernement doit respecter la volonté du peuple à manifester pacifiquement pour les concrétiser. Demander aux manifestants de déposer une demande préalable avec des détails tels que les slogans qu’ils porteront présente une violation claire de cette liberté, surtout dans une atmosphère hostile en Algérie pour la liberté d’expression.
ARTICLE 19 reste préoccupé par l’escalade de la répression en Algérie. Les forces de sécurité doivent cesser d’arrêter les manifestants et les journalistes qui couvrent les manifestations, et ne doivent aucunement recourir à l’usage de la force contre les militants qui défendent pacifiquement leurs droits. Nous demandons instamment aux autorités de retirer la note administrative publiée par la direction de la réglementation des affaires générales et des contentieux à l’intention du chef de la sûreté de l’État Algérien lui permettant de déployer la force du 8 mai au 7 juin pour arrêter les manifestants.
ARTICLE 19 rejoint les appels des membres de la société civile régionale et nationale pour la condamnation[4] de la grave détérioration de la situation des droits humains, des libertés individuelles et collectives et de l’aggravation sans précédent de la répression contre les militants et les journalistes du Hirak. Notamment Said Boudour, Jamila Loukil et le président du bureau de la Ligue algérienne des droits de l’Homme à Oran, Kaddour Chouicha, incriminés pour des allégations de terrorisme[5].
« La situation en Algérie est très alarmante. Les libertés fondamentales continuent d’être violées. Les raisons pour lesquelles le peuple algérien est sorti manifester sont toujours d’actualité. Le nouveau gouvernement n’a pas fait grand-chose pour rompre avec l’approche de la précédente dictature. Au contraire, la répression se durcit, les droits humains sont muselés, l’espace public est fermé. Nous appelons le gouvernement à inverser cette tendance et à écouter les préoccupations du peuple, au lieu de chercher à le faire taire », a ajouté Ghazouani.
[1] ALGERIE PRESSE SERVICE , ‘Organisation de marches: Le ministère de l’Intérieur rappelle l’impératif respect des procédures légales’,9 mai 2021. Disponible sur le lien : https://www.aps.dz/algerie/121578-organisation-de-marches-le-ministere-de-l-interieur-rappelle-l-imperatif-respect-des-procedures-legales
[2] LIBERTE ALGERIE, ‘Ihsane placé sous contrôle judiciaire, Khattou jugée le 25 mai’, 18 mai 2021. Disponible sur : https://www.liberte-algerie.com/actualite/ihsane-place-sous-controle-judiciaire-khattou-jugee-le-25-mai-358944
[3] LE COMITE POUR LA PROTECTION DES JOURNALISTES, ‘’ Algerian police arrest at least 16 journalists, reporter Kenza Khattou remains in detention’’ , 17 mai 2021. Disponible sur: https://cpj.org/2021/05/algerian-police-arrest-at-least-16-journalists-reporter-kenza-khattou-remains-in-detention/
[4] INTERLIGNES, ‘’ La LADDH dénonce l’aggravation “sans précédent” de la répression en Algérie’’, 11 mai 2021. disponible sur : https://www.inter-lignes.com/la-laddh-denonce-laggravation-sans-precedent-de-la-repression-en-algerie/
[5] INTERLIGNES, ‘’ Les accusations de terrorisme portées contre Boudour, Chouicha et Loukil “constituent une dangereuse escalade”, 8 mai 2021. Disponible sur : https://www.inter-lignes.com/les-accusations-de-terrorisme-portees-contre-boudour-chouicha-et-loukil-constituent-une-dangereuse-escalade/