ARTICLE 19 exprime sa préoccupation face aux récentes modifications du Code pénal algérien, qui marquent une escalade significative de la répression par le gouvernement algérien contre la dissidence. En introduisant de nouvelles infractions liées à l’expression et en augmentant les sanctions pour celles jadis existantes, l’Algérie élargit ses outils juridiques pour faire taire l’opposition et les voix critiques à l’approche de l’élection présidentielle du 7 septembre 2024. Nous appelons le gouvernement algérien à abroger ces modifications et à aligner ses infractions liées à l’expression sur les normes internationales en matière de liberté d’expression. Sous leur forme actuelle, les nouvelles modifications sont en contradiction avec ces normes.
Les nouveaux amendements ont été adoptés le 2 avril 2024 après avoir été introduits par l’Assemblée populaire nationale (APN) et confirmés par le Conseil de la Nation. Le président Tebboune les a promulgués1Al Moudjahed, « Le nouveau code pénal publié au Journal officiel : L’unité nationale est une ligne rouge », Lien : https://www.elmoudjahid.dz/fr/actualite/le-nouveau-code-penal-publie-au-journal-officiel-l-unite-nationale-est-une-ligne-rouge-217873 le 5 mai 2024, et ils ont ensuite été publiés au Journal officiel. Ces amendements font suite à une autre série de modifications du Code pénal en 2020, qui avaient été critiquées par les organisations de défense des droits de l’Homme pour leur caractère répressif.
Nous rappelons au gouvernement algérien que toute restriction à la liberté d’expression doit respecter les principes de légalité, de légitimité, de nécessité et de proportionnalité.
Contraintes juridiques élargies sur le droit à l’expression et à l’information
De nouvelles dispositions ont été introduites dans les articles 63 bis2« Art. 63 bis. — Est coupable de trahison et est puni de la réclusion à perpétuité, tout algérien qui divulgue des informations ou des documents confidentiels relatifs à la sécurité nationale et/ou à la défense nationale et/ou à l’économie nationale à travers les réseaux sociaux au profit d’un pays étranger ou de l’un de ses agents. ». et 63 bis 13Art. 63 bis 1. — Est puni de la réclusion à temps de vingt (20) ans à trente (30) ans, quiconque divulgue des informations ou des documents confidentiels relatifs à la sécurité nationale et/ou à la défense nationale et/ou à l’économie nationale à travers les réseaux sociaux en vue de nuire aux intérêts de l’Etat algérien ou à la stabilité de ses institutions. » , criminalisant pour la première fois de manière explicite la divulgation d’informations jugées confidentielles, sans pour autant définir ce qui pourrait être considéré comme confidentiel. Ces articles prévoient la réclusion à perpétuité pour « trahison », définie comme la divulgation d’informations jugées sensibles pour la sécurité nationale, la défense ou l’économie lorsqu’elles sont partagées sur des plateformes de réseaux sociaux « au profit d’un pays étranger ou de l’un de ses agents ».
Ces articles présentent d’importantes ambiguïtés juridiques, en particulier concernant les définitions d’« informations confidentielles » et « l’économie », qui sont excessivement larges et imprécises. Établir que l’information est divulguée « au profit d’un pays étranger ou de ses agents » est problématique lorsque cette information est rendue publique plutôt que directement transmise. De plus, les concepts larges de « porter atteinte aux intérêts de l’État algérien » et de « stabilité de ses institutions » dans l’article 63 bis 1 pourraient réprimer les informations d’intérêt public, telles que la révélation de mauvaises gestions dans l’administration publique, menaçant ainsi la liberté d’expression et la transparence. Ces dispositions instaurent un climat de peur parmi les journalistes, les militants et les citoyens ordinaires, les incitant à hésiter à partager ou à discuter d’informations liées aux actions ou politiques gouvernementales, même si ces informations sont cruciales pour le débat public et la responsabilisation.
L’article 964« Art. 96. — Sous réserve des dispositions de l’article 87 bis 5 du présent code, quiconque distribue, met en vente, expose au regard du public ou détient en vue de la distribution, de la vente ou de l’exposition, dans un but de propagande, des tracts, bulletins, papillons, vidéos ou enregistrements audio de nature à nuire à l’intérêt national, est puni d’un emprisonnement d’un (1) an à cinq (5) ans et d’une amende de 100.000 DA à 500.000 DA. Lorsque les tracts, bulletins, papillons, vidéos ou enregistrements audio sont d’origine ou d’inspiration étrangère, la peine est portée au double. La juridiction peut prononcer, en outre, dans les deux cas, la peine de l’interdiction d’un ou de plusieurs des droits civiques, conformément à l’article 14 du présent code et l’interdiction de séjour. ». viole le droit à la liberté d’expression en utilisant un langage vague et large pour criminaliser la diffusion de documents jugés nuisibles à l’intérêt national et la propagande, qui ne sont pas des termes ou des limites juridiques clairs. Les récentes modifications du Code pénal algérien, qui imposent des peines sévères, y compris des peines doublées pour les documents d’origine étrangère, dissuadent le partage d’informations, favorisent l’autocensure et isolent la société algérienne des perspectives mondiales.
Les amendements aux articles 1445« Art. 144. — Est puni d’un emprisonnement de six (6) mois à trois (3) ans et d’une amende de 100.000 DA à 500.000 DA, quiconque dans l’intention de porter atteinte à leur honneur, à leur délicatesse ou au respect dû à leur autorité, outrage dans l’exercice de leurs fonctions ou à l’occasion de cet exercice, un magistrat, un fonctionnaire ou un officier public, soit par paroles, gestes, menaces, envoi ou remise d’objet quelconque, soit par écrit ou dessin non rendu public…La même peine est applicable, lorsque l’outrage est commis envers un imam ou envers le corps des enseignants pendant ou à l’occasion de l’exercice de leurs missions., 1466« Art. 146. — L’outrage, l’injure ou la diffamation commis soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration, ou de tout autre support de la parole ou de l’image, soit par tout autre support électronique ou informationnel, envers le Parlement ou l’une de ses deux chambres, les juridictions ou l’Armée Nationale Populaire, ou envers tout corps constitué ou toute autre institution publique, est puni d’une amende de 200.000 DA à 500.000 DA. En cas de récidive, la peine est portée au double. Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public. ». et 149 bis 217« Art. 149 bis 21. — Est puni d’un emprisonnement d’un (1) an à trois (3) ans et d’une amende de 100.000 DA à 300.000 DA, quiconque porte atteinte à l’image des services de sécurité ou de leurs affiliés par écrit, dessin, ou tout autre support sonore ou d’image, ou par tout autre moyen. ». du Code pénal introduisent des restrictions significatives à la liberté d’expression, notamment en ce qui concerne les déclarations dirigées contre des responsables de l’État, des imams et des enseignants, ainsi que les insultes envers les symboles du « mouvement de libération nationale ». Ces amendements incluent également des dispositions qui élargissent la responsabilité pénale en ciblant les expressions qui portent atteinte à « l’image des services de sécurité et de leurs agents ». Les termes utilisés dans ces amendements sont particulièrement vagues et ambigus. Des expressions telles que « intention de nuire à leur honneur », « délicatesse » et « respect dû à leur autorité » manquent de définitions claires. Bien que la critique des responsables publics et des institutions soit essentielle pour la transparence et la responsabilité, comme le stipule l’observation générale n° 34 du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur la liberté d’expression, les amendements ne reconnaissent pas l’importance de la liberté d’expression, en particulier dans le contexte de l’intérêt public.
Escalade dans la criminalisation des rassemblements pacifiques
L’article 1008« Art. 100. — Toute provocation directe à un attroupement non armé, soit par discours proférés publiquement, soit par écrit ou imprimés, affichés ou distribués, soit par l’utilisation des technologies de l’information et de la communication ……………..…… (le reste sans changement) ………….…… ». amendé étend le pouvoir gouvernemental de criminaliser la provocation directe à des rassemblements non armés via les technologies de l’information et de la communication, en utilisant un langage vague qui permet une interprétation arbitraire et pourrait criminaliser des dissidences légitimes. Cela contrevient directement aux normes internationales, y compris les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en portant atteinte au droit de se rassembler et en créant un effet dissuasif. Le gouvernement doit clarifier ces termes, mettre en place des garanties contre les abus et engager un dialogue avec la société civile pour se conformer aux engagements en matière de droits humains.
Le terrorisme, la notion fourre-tout
Depuis 2021, les autorités algériennes ont de plus en plus recours aux lois sur le terrorisme pour poursuivre des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme et des militants politiques. L’article 87 bis 139« Art. 87 bis 13. — Il est créé une liste nationale des personnes et des entités terroristes qui ont commis un des actes cités par : — l’article 87 bis de la présente loi ; — l’article 3 de la loi n° 05 -01 du 27 Dhou El Hidja 1425 correspondant au 6 février 2005 relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ; — les actes de participation au financement ou à l’organisation, de facilitation, de préparation ou de l’exécution de crimes terroristes ou de leur soutien de quelque nature qu’il soit. », récemment ajouté au Code pénal algérien, élargit considérablement la définition du terrorisme pour inclure toute participation au financement, à l’organisation, à la facilitation, à la préparation ou à l’exécution de crimes terroristes, ainsi que tout soutien à de telles activités. La définition vague du « terrorisme » dans le cadre juridique algérien pose problème. Si la définition était claire, criminaliser des actes tels que le financement du terrorisme serait justifiable.
Cependant, l’ambiguïté de la définition du terrorisme permet une interprétation large et un usage abusif, en particulier contre la société civile algérienne. Ce problème est aggravé par l’article 100 modifié, qui élargit encore le champ d’application pour inclure les technologies de l’information et de la communication, ce qui pourrait criminaliser des dissidences légitimes et des manifestations pacifiques. Les organisations de la société civile, les médias et les défenseurs des droits de l’homme sont particulièrement à risque, car nombre de ces entités dépendent du soutien financier pour leurs activités à but non lucratif. Sous cette définition large, les organisations non gouvernementales promouvant les droits de l’homme, les médias indépendants et les militants recevant des financements internationaux pourraient être injustement accusés de soutenir le terrorisme.
Selon le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme, les définitions du terrorisme devraient cibler spécifiquement les actes de violence destinés à causer la mort ou des blessures graves à des civils ou à des non-combattants, dans le but d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à agir ou à s’abstenir d’agir.
ARTICLE 19 exhorte le gouvernement algérien à abroger les récentes modifications du Code pénal, en particulier celles qui élargissent de manière vague et excessive les activités criminelles liées au terrorisme, restreignent la liberté d’expression, et ciblent les organisations de la société civile, les médias et les défenseurs des droits de l’homme. Nous appelons le gouvernement à aligner toute modification avec les normes internationales et à garantir un discours libre. Nous demandons instamment aux autorités d’abroger immédiatement les articles 87 bis 13, 144, 146, 148 et 149 bis 21.
Nous insistons sur l’obligation fondamentale du gouvernement de respecter et de protéger le droit du public à la liberté d’expression. Les autorités algériennes doivent abroger les articles 63, 63 bis, 96 et 100 pour garantir que les lois ne restreignent pas indûment la diffusion d’informations ou ne pénalisent pas ceux qui partagent des informations d’intérêt public.
- 1Al Moudjahed, « Le nouveau code pénal publié au Journal officiel : L’unité nationale est une ligne rouge », Lien : https://www.elmoudjahid.dz/fr/actualite/le-nouveau-code-penal-publie-au-journal-officiel-l-unite-nationale-est-une-ligne-rouge-217873
- 2« Art. 63 bis. — Est coupable de trahison et est puni de la réclusion à perpétuité, tout algérien qui divulgue des informations ou des documents confidentiels relatifs à la sécurité nationale et/ou à la défense nationale et/ou à l’économie nationale à travers les réseaux sociaux au profit d’un pays étranger ou de l’un de ses agents. ».
- 3Art. 63 bis 1. — Est puni de la réclusion à temps de vingt (20) ans à trente (30) ans, quiconque divulgue des informations ou des documents confidentiels relatifs à la sécurité nationale et/ou à la défense nationale et/ou à l’économie nationale à travers les réseaux sociaux en vue de nuire aux intérêts de l’Etat algérien ou à la stabilité de ses institutions. »
- 4« Art. 96. — Sous réserve des dispositions de l’article 87 bis 5 du présent code, quiconque distribue, met en vente, expose au regard du public ou détient en vue de la distribution, de la vente ou de l’exposition, dans un but de propagande, des tracts, bulletins, papillons, vidéos ou enregistrements audio de nature à nuire à l’intérêt national, est puni d’un emprisonnement d’un (1) an à cinq (5) ans et d’une amende de 100.000 DA à 500.000 DA. Lorsque les tracts, bulletins, papillons, vidéos ou enregistrements audio sont d’origine ou d’inspiration étrangère, la peine est portée au double. La juridiction peut prononcer, en outre, dans les deux cas, la peine de l’interdiction d’un ou de plusieurs des droits civiques, conformément à l’article 14 du présent code et l’interdiction de séjour. ».
- 5« Art. 144. — Est puni d’un emprisonnement de six (6) mois à trois (3) ans et d’une amende de 100.000 DA à 500.000 DA, quiconque dans l’intention de porter atteinte à leur honneur, à leur délicatesse ou au respect dû à leur autorité, outrage dans l’exercice de leurs fonctions ou à l’occasion de cet exercice, un magistrat, un fonctionnaire ou un officier public, soit par paroles, gestes, menaces, envoi ou remise d’objet quelconque, soit par écrit ou dessin non rendu public…La même peine est applicable, lorsque l’outrage est commis envers un imam ou envers le corps des enseignants pendant ou à l’occasion de l’exercice de leurs missions.
- 6« Art. 146. — L’outrage, l’injure ou la diffamation commis soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration, ou de tout autre support de la parole ou de l’image, soit par tout autre support électronique ou informationnel, envers le Parlement ou l’une de ses deux chambres, les juridictions ou l’Armée Nationale Populaire, ou envers tout corps constitué ou toute autre institution publique, est puni d’une amende de 200.000 DA à 500.000 DA. En cas de récidive, la peine est portée au double. Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public. ».
- 7« Art. 149 bis 21. — Est puni d’un emprisonnement d’un (1) an à trois (3) ans et d’une amende de 100.000 DA à 300.000 DA, quiconque porte atteinte à l’image des services de sécurité ou de leurs affiliés par écrit, dessin, ou tout autre support sonore ou d’image, ou par tout autre moyen. ».
- 8« Art. 100. — Toute provocation directe à un attroupement non armé, soit par discours proférés publiquement, soit par écrit ou imprimés, affichés ou distribués, soit par l’utilisation des technologies de l’information et de la communication ……………..…… (le reste sans changement) ………….…… ».
- 9« Art. 87 bis 13. — Il est créé une liste nationale des personnes et des entités terroristes qui ont commis un des actes cités par : — l’article 87 bis de la présente loi ; — l’article 3 de la loi n° 05 -01 du 27 Dhou El Hidja 1425 correspondant au 6 février 2005 relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ; — les actes de participation au financement ou à l’organisation, de facilitation, de préparation ou de l’exécution de crimes terroristes ou de leur soutien de quelque nature qu’il soit. »