Algérie: Les autorités doivent mettre fin aux menaces des droits humains issues des nouvelles lois sur les médias

Algérie: Les autorités doivent mettre fin aux menaces des droits humains issues des nouvelles lois sur les médias - Civic Space

Image by BRAHIM DJELLOUL Mustapha on Wikimedia Commons.

ARTICLE 19 appelle le gouvernement Algérien à abroger trois nouvelles lois sur les médias, adoptées en 2023, car elles ne répondent pas aux normes internationales en matière de droits humains sur la liberté d’expression. En attendant l’abrogation de ces lois, nous proposons que le gouvernement algérien adopte des mesures provisoires immédiates pour empêcher la détérioration  de l’écosystème de la liberté d’expression et la liberté des médias dans le pays.

En 2023, l’Algérie a adopté trois nouvelles lois sur les médias : la loi organique sur l’information, la loi relative à la presse écrite et électronique, et la loi relative à l’activité audiovisuelle (les Lois sur les Médias). Ces lois ont été adoptées malgré les vives critiques d’ARTICLE 19, de MENA Rights Group ainsi que d’autres, qui ont affirmé que de nombreuses dispositions de ces lois violent les droits humains et les normes internationales de liberté d’expression.

 ARTICLE 19 s’accorde avec la société civile en Algérie qui œuvre en vue de persuader le gouvernement d’atténuer l’impact des lois sur les Médias sur les droits humains lors de leur  mise en œuvre. Dans ce contexte, afin de répondre aux menaces sur l’indépendance des médias en Algérie et  pour mettre fin aux dispositions rétrogrades contenues dans les Lois sur les Médias, nous appelons le gouvernement algérien à adopter des mesures provisoires immédiates pour que ces lois ne soient pas utilisées pour réprimer la liberté d’expression et la liberté d’information dans le pays.

Les propositions de ARTICLE19 portent sur deux aspects. Premièrement, la composition des autorités régulatrices et le processus de nomination des membres. Deuxièmement, l’influence de l’exécutif sur les questions concernant le secteur audiovisuel.

Cependant, la position d’ARTICLE 19 demeure claire. Les nouvelles lois sur les médias violent les normes de liberté d’expression de différentes manières. Aucune interprétation de ces lois lors de leur mise en œuvre ne pourrait les rendre conformes aux droits humains. Seule leur abrogation totale permettra à l’Algérie d’être au diapason de ses obligations internationales en matière de droits humains.

 

1. Le processus de nomination et la composition des membres au sein des autorités de régulation

 Les Lois sur les Médias prévoient la mise en place de trois autorités de régulation des médias : l’Autorité Régulatrice de l’Audiovisuel, l’Autorité Régulatrice de la Presse Écrite et Électronique, et le Conseil supérieur de l’éthique et de la déontologie.

D’emblée, nous constatons que la régulation de la presse écrite et électronique est inutile n’est pas nécessaire et pourrait facilement se transformer en moyen  pour taire les voix critiques. Contrairement aux médias audiovisuels qui sont assortis de contraintes techniques sur nombre de médias –  – la presse écrite et électronique ne comportent que quelques aspects qui nécessitent la régulation. De fait, les normes internationales sur la liberté des médias, désignent l’autorégulation comme le meilleur mécanisme de régulation  pour garantir la responsabilité de la presse et son indépendance et pour limiter les interférences dans la liberté d’expression. ARTICLE 19 s’oppose ainsi  à l’établissement d’une instance de régulation de la presse écrite et électronique et estime que le Haut Conseil pour l’Éthique et la Déontologie  de la profession journalistique devrait plutôt être un organe d’autorégulation.

 De plus, les normes internationales ont constamment souligné l’impératif de protéger les autorités de régulation de toute intervention politique et économique affirmant le principe de l’indépendance des instances de régulation est liée à l’indépendance des activités de diffusion et des médias, de manière générale. Les garanties pour l’indépendance des instances de régulation concernent tout autant les conditions de leur création et leur composition.

l’autorité de régulation 

La loi de l’audiovisuel prévoit de remplacer l’Autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV), créée en 2014, par une nouvelle instance de régulation composée, selon l’article 43, d’un Président et de huit membres, nommés par le Président de la République pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. Les membres de l’instance sont choisis ‘parmi les compétences, les personnalités et les chercheurs jouissant d’une expérience avérée, notamment, dans les domaines journalistique, technique, juridique, économique et qui sont reconnues pour leurs publications, leurs recherches ou leurs contributions au développement de l’audiovisuel’.

Le processus de nomination des membres des autorités de régulation peuvent différer d’un pays à l’autre. Toutefois, les normes internationales exigent que le processus soit exempt de toute intervention politique ou économique et ne  pas être sous le contrôle absolu du parti au pouvoir, pour éviter les nominations exclusivement politiques au lieu d’être conforme à l’intérêt public.

Bien que la loi dispose que le Président de la République  nomme tous les membres, cela ne devrait pas être interprété comme permettant que le processus de nomination soit laissé uniquement à la volonté unilatérale du Président. Un certain nombre de mesures peuvent aider à prévenir les interférences politiques ou autres dans la nomination et le travail de l’organe régulateur.

A titre provisoire, nous proposons la création, par le ministre de la Communication, d’un  comité multipartite pour éviter  l’influence politique sur les membres de l’instance de régulation, qui organise les entretiens et propose des candidats qui seront nommés par le  Président de la République. Le comité multipartite pourrait être composé de représentants du Parlement, du pouvoir judiciaire et du secteur de l’audiovisuel. Article 19 recommande aussi de veiller à la transparence du processus de nomination des membres de l’Instance et qu’il soit   ouvert à la participation publique, à travers la tenue de séances d’auditions publiques ou en permettant aux représentants de la société civile et du public pour présenter des candidatures adéquates. Enfin, il est impératif d’exiger des qualifications de candidature rigoureuses (par exemple, expérience dans le domaine commercial ou juridique) tout en veillant à assurer une représentativité des minorités ethniques, ou du genre.

 L’Instance de régulation  de la presse écrite et électronique

 A l’instar de l’ARAV, la loi sur la presse écrite et électronique prévoit la création d’une instance de régulation de la presse écrite et électronique.  composée de neuf membres, nommés par le Président de la République pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. Selon l’article 43 de la loi sur la presse écrite et électronique, les critères de sélection des membres de cette instance sont similaires à ceux de la loi relative à l’audiovisuel (ex: les activités de recherche et les contributions des membres doivent porter sur  la presse).

Comme mentionné précédemment, ARTICLE 19 estime qu’une instance de régulation de la presse écrite et électronique n’est pas nécessaire et constitue un grand danger pour l’indépendance des médias et la liberté d’expression. La Loi prévoit aussi la création d’une autre instance de régulation  le Conseil supérieur de l’éthique et de la déontologie pour la profession journalistique. Bien qu’il n’y ait vraiment qu’une seule chose à considérer pour les autorités algériennes – remplacer toute autorité régulatrice sur la presse écrite et électronique ou la profession journalistique par un modèle d’autorégulation – au minima, la nomination des membres devrait se faire suivant un processus transparent, démocratique et pluraliste qui limite au maximum l’interventionnisme  du Président.

Conseil supérieur de l’éthique et de la déontologie

 La loi organique sur l’information dispose  la création d’un Conseil supérieur de l’éthique et de la déontologie  pour la profession journalistique composé de 12 membres,  dont la moitié sont nommés, selon l’article 34, par le Président de la République, ‘parmi des experts, des personnalités et des chercheurs ayant une expérience avérée dans le domaine du journalisme’. La loi prévoit que « six autres membres sont élus parmi les journalistes et les éditeurs membres d’organisations professionnelles nationales » sans préciser la partie chargée de leur élection. La composition du Conseil, son organisation et son fonctionnement doivent être fixés par décret (voie réglementaire).

ARTICLE 19 affirme la création d’une autorité de régulation de l’éthique journalistique est intrinsèquement préoccupante. Selon les normes internationales, considèrent l’autorégulation comme le meilleur mécanisme de régulation pour garantir la responsabilité de la presse envers le public, pour protéger son indépendance et prévenir toute interférence dans la liberté d’expression. de même, la nomination de la moitié des membres de cette instance par le Président de la République accorde une influence excessive  du pouvoir exécutif sur ce Conseil.

ARTICLE 19 recommande l’adoption des mesures suivantes pour prévenir toute menace des droits humains :

 Concernant la nomination de six membres par le Président de la République, il est impératif d’adopter un processus de création de cette instance qui limite autant que possible son pouvoir discrétionnaire et son influence  sur le processus de sélection des membres de l’Instance et pour limiter ses prérogatives à la seule nomination officielle  des candidats sélectionnés à travers une consultation participative inclusive, transparente et démocratique. La sélection des membres doit englober une représentation tripartite, qui prend en considération la présence de journalistes, d’éditeurs et de représentants de la société civile pour répondre aux objectifs fondamentaux de l’autorégulation : la responsabilité professionnelle envers leurs pairs, la responsabilité des médias envers le public, la protection des professionnels et la confiance du public dans les médias. Cette sélection doit être menée à part égale par les  représentants des journalistes, des éditeurs et de la société civile.

Concernant la nomination des six autres membres du Conseil supérieur de l’éthique et de la déontologie, nous recommandons que le décret fixe le processus d’élection des 6 autres membres « parmi les journalistes et éditeurs membres d’organisations professionnelles nationales » ouvert, transparent et pluraliste. Nous proposons également que la sélection soit menée par les représentants des journalistes, des éditeurs et du public.

 Nous recommandons aussi de limiter la durée du mandat des membres de cette instance pour éviter toute forme d’ hégémonie d’une personne ou d’un groupe d’intérêt. 

2. Le processus de Rôle du ministre de la Communication

Les Lois sur les Médias accordent un pouvoir excessif au gouvernement, notamment au ministre de la Communication. Nos observations dans ce rapport se limitent au pouvoir du ministre de la Communication sur le secteur audiovisuel.

Selon la loi relative à l’audiovisuel, la création de tout service de communication audiovisuelle et la diffusion d’émissions radiophoniques ou télévisuelles par câble, par voie terrestre ou par satellite, sont soumises à une autorisation préalable, délivrée par le ministre chargé de la communication. (Article 8 de la loi organique sur l’information et Article 13 de la loi relative à l’activité audiovisuelle). Le processus de licence est censé suivre les principes d’objectivité, de transparence et de non-discrimination. Les autorisations sont accordées en tenant compte de facteurs tels que la zone géographique de couverture ou la langue de diffusion (Article 16, 63 et 64).

ARTICLE 19 souligne que l’octroi des licences par le ministre de la Communication  n’est pas conforme aux normes internationales. Lorsque la réglementation de l’octroi des fréquences revient aux autorités gouvernementales, il y a risque que le gouvernement et ses aliés ne soient tentés d’en être les principaux bénéficiaires. On relève aussi que même lorsqu’un gouvernement intervient pour accomplir correctement cette mission , il y a toujours le risque de voir apparaître des  pratiques d’auto-censure et de conformité des choix officiels par crainte de perdre les licences. Par conséquent, les normes internationales que l’ensemble des décisions et d’octroi des licences soient supervisées par une Instance de régulation indépendante de manière à garantir la diversité du champ de la diffusion.

Pour prévenir les risques liées au pouvoir du ministre de la Communication dans l’octroi des licences, ARTICLE 19 recommande que le ministre de la Communication formalise un processus d’octroi des licences sur avis de l’autorité de régulation, qui doit  être associée à toutes les étapes du processus d’octroi des licences. Conformément aux normes internationales , l’octroi des licences doit être appliqué conformément à une  réglementation ouverte, transparente et impartiale. Les décisions et les appels d’offres doivent être publics. Fixant un ensemble de critères auxquels doivent se conformer tout en précisant le contenu de la demande d’obtention de la licence, tout en reflétant la diversité et le pluralisme des opinions politiques, économiques et sociale, garantir la non-discrimination, y compris basé sur le genre dans le respect de l’éthique journalistique. 

ARTICLE 19 affirme sa disposition à fournir un appui au gouvernement algérien et aux législateurs pour mener le processus de révision de la législation afin qu’elle soit  en conformité totale avec le droit international.