Allocution prononcée lors de la 56e Session Ordinaire de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples
Madame la Présidente,
Honorables Commissaires,
Distingués Délégués,
ARTICLE 19 note avec satisfaction le travail effectué par la Rapporteure Spéciale sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique. Nous apprécions son engagement continu auprès des gouvernements et OSC à travers le continent, eu égard à l’adoption de lois sur l’accès à l’information, la dépénalisation des infractions liées à la liberté d’expression et l’obligation de rendre compte relativement aux attaques perpétrées contre les journalistes.
Violation de la liberté d’expression
Les professionnels des médias, les journalistes, les caricaturistes et les défenseurs des droits de l’homme continuent de faire face à des attaques et d’être contraints de faire leur travail sous la pression constante des autorités et des acteurs non étatiques, dans un climat d’impunité généralisée.
Entre Janvier et Octobre 2015, 71 journalistes ont été attaqués individuellement au Kenya, mais seuls 3 cas ont fait l’objet d’enquêtes et leurs auteurs traduits en justice. Trois jours avant la célébration de la Journée mondiale de la Liberté de Presse de 2015, John Kituyi, Editeur et Rédacteur en Chef du journal « Weekly Mirror » a été tué et, à ce jour, personne n’a été tenu pour responsable.
A travers le mondela Somalie est l’un des pays qui présentent le plus de dangers pour les journalistes. En 2015 3 journalistes ont été tués et plus de 40 autres arrêtés arbitrairement dans l’exercice de leur fonction. Là où beaucoup d’entre eux ont été agressés physiquement, d’autres ont sans cesse fait l’objet de harcèlements judiciaires.
L’accroissement des attaques contre la presse en Tanzanie au cours des cinq dernières années est assez préoccupant. Depuis 2010 ARTICLE 19 a enregistré plus de 30 cas d’attaques de journalistes. Lors des élections qui viennent juste de se terminer, 8 communicateurs des médias sociaux ont été accusés, en vertu de la Loi sur la cybercriminalité, d’avoir tout simplement exercé leur droit à la liberté d’expression. Leurs affaires suivent actuellement leur cours.
En Gambie, les professionnels des médias continuent de travailler dans une atmosphère de peur constante et d’autocensure. Depuis Janvier 2015, Taranga FM, la seule radio communautaire qui diffuse des nouvelles à l’intention des collectivités a été contrainte, de manière arbitraire, d’arrêter ses émissions suite à la tentative de coup d’état de décembre 2014. Le 2 Juillet, son Directeur, Alagie Abdoulie Ceesay a été enlevé pendant 11 jours, contraint d’ouvrir ses emails et sévèrement torturé. Il a été libéré pendant un bref moment et à nouveau détenu depuis, accusé maintenant de sédition. Deux de ses amies ont été contraintes de témoigner contre lui, mais au cours du procès, elles se sont rétractées et se sont depuis lors enfuies du pays par crainte pour leur vie.
A la suite de la tentative de coup d’état de Septembre 2015 au Burkina Faso, ARTICLE 19 a reçu des informations sur diverses attaques et cas d’agressions et de violence à l’égard des médias, de journalistes dans l’exercice de leurs fonctions et de manifestants. Environ 10 incidents ont été reportés, allant de la fermeture arbitraire et l’interdiction de médias aux cas de destruction de biens, en passant par les agressions physiques. 10 personnes ont été tuées et environ 100 autres blessées pour avoir exprimé leurs opinions.
Beaucoup de pays africains conservent encore dans leur code pénal des lois qui restreignent injustement la liberté d’expression. Ces textes définissent les infractions liées à la promotion de lois sur le sectarisme, la diffamation criminelle, les insultes, la lutte contre le terrorisme et les lois nationales en matière de sécurité. Aujourd’hui de nombreux pays s’en sont servis pour emprisonner des journalistes et restreindre l’espace public. Ces lois ont continué à avoir un effet dissuasif sur les médias et à entraver la liberté d’expression.
Madame la Présidente,
Accès à l’information
Malgré l’accroissement considérable du nombre de pays reconnaissant le droit à l’accès à l’information sur le continent, une grande partie des Etats africains semblent toujours incapables ou réticents à adopter des lois allant dans ce sens.
Certains gouvernements refusent de fournir à leurs citoyens les informations les plus élémentaires, apparemment en raison d’une combinaison d’impunité et d’absence de volonté politique ou de systèmes permettant aux Etats de fournir de manière proactive des informations vitales. Des Lois sur la protection du secret existent toujours dans les recueils de textes juridiques et se sont avérées constituer un grand obstacle à la pleine application des lois sur l’accès à l’information.
La promulgation de lois sur l’accès à l’information doit également être accompagnée du renforcement des capacités civiques. L’éducation civique devrait pouvoir permettre aux citoyens ordinaires d’accéder aux informations sur la loi et d’habiliter les fonctionnaires du gouvernement à rendre l’information accessible aux citoyens.
Madame la Présidente,
Pour conclure, nous demandons instamment aux gouvernements africains :
- d’accélérer le processus de promulgation de lois sur l’accès à l’information et de les rendre opérationnelles ;
- d’abroger les lois incompatibles avec le droit à l’accès à l’information ;
- d’abroger les lois sur la diffamation et d’autres lois similaires qui criminalisent la liberté d’expression ;
- de veiller à ce que tous ceux qui violent les droits des journalistes et défenseurs des droits de l’homme rendent compte de leurs actes ;
- d’inviter la Rapporteure Spéciale sur la liberté d’expression et d’autres organes dotés de mandats pertinents à effectuer des visites dans les pays où les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme sont menacés, ce qui témoignerait de leur engagement à promouvoir ce droit, conformément à l’Article 9 de la Charte.
Je vous remercie de votre attention.